Machiavel: la conversation des anciens (lettre à F. Vettori)

Lettre à Francesco Vettori du 10 décembre 1513:

vêtu décemment pour l’occasion j’entre dans les cours antiques des hommes antiques, où, reçu par eux avec amitié, je me nourris de cet aliment qui seul est mien et pour lequel je suis né; où je n’ai pas honte de parler avec eux, et de leur demander raison de leurs actions; et eux, dans leur humanité, me répondent; et pour 4 heures, je ne sens le moindre ennui, j’oublie tout souci, je ne crains pas la pauvreté, la mort ne me trouble pas: je me livre tout entier à eux. Et parce que Dante dit qu’il n’y a pas de science sans la rétention de ce qui a été compris, j’ai noté ce qui par leur conversation m’est apparu important, et composé un opuscule de Principatibus.

Plus d’extraits, en italien et traduits, après le saut.

Extraits dans l’original:


Io mi sto in villa, et poi che seguirno quelli miei ultimi casi, non sono stato, ad accozarli tutti, 20 dì a Firenze. (…) Io mi lievo la mattina con el sole et vommene in un mio boscho che io fo tagliare, dove sto dua hore a rivedere l’opere del giorno passato, et a passar tempo con quegli tagliatori, che hanno sempre qualche sciagura alle mane o fra loro o co’vicini. (..) Partitomi del bosco, io me ne vo a una fonte, et di quivi in un mio uccellare. Ho un libro sotto, o Dante o Petrarca, o un di questi poeti minori, come Tibullo, Ovvidio et simili : leggo quelle loro amorose passioni et quelli loro amori, ricordomi de’mia, godomi un pezzo in questo pensiero. Transferiscomi poi in su la strada nell’hosteria, parlo con quelli che passono, dimando delle nuove de’paesi loro, intendo varie cose, et noto varii gusti et diverse fantasie d’huomini. Vienne in questo mentre l’hora des desinare, dove con la mia brigata mi mangio di quelle cibi che questa povera villa et paululo patrimonio comporta. Mangiato che ho, ritorno nell’hosteria : quivi è l’hoste, per l’ordinario, un beccaio, un mugnaio, dua fornaciai. Con questi io m’ingaglioffo per tutto dì giuocando a criccha, a triche-tach, et poi dove nascono mille contese et infiniti dispetti di parole iniuriose, et il più delle volte si combatte un quattrino et siamo sentiti nondimanco gridare da San Casciano. Così rinvolto entra questi pidocchi traggo el cervello di muffa, et sfogo questa malignità di questa mia sorte, sendo contento mi calpesti per questa via, per vedere se la se ne vergognassi.

Venuta la sera, mi ritorno in casa, et entro nel mio scrittoio; et in su l’uscio mi spoglio quella veste cotidiana, piena di fango et di loto, et mi metto panni reali et curiali ; et rivestito condecentemente entro nelle antiqui corti degli antiqui huomini, dove, da loro ricevuto amorevolmente, mi pasco di quel cibo, che solum è mio, et che io nacqui per lui ; dove io non mi vergogno parlare con loro, et domandarli della ragione delle loro actioni ; et quelli per loro humanità mi rispondono ; et non sento per 4 hore di tempo alcuna noia, sdimenticho ogni affanno, non temo la povertà, non mi sbigottiscie la morte : tucto mi trasferisco in loro. E perchè Dante dice che non fa scienza sanza lo ritenere lo havere inteso, io ho notato quello di che per la loro conversatione ho fatto capitale, et composto uno opusculo De principatibus, dove io mi profondo quanto io posso nelle cogitationi di questo subbietto, disputando che cosa è principato, di quale spetie sono, come e’si acquistono, come e’si mantengono, perché e’si perdono. E se vi piacque mai alcuno mio ghiribizzo, questo non vi doverrebbe dispiacere; e a un principe, e massime a un principe nuovo, doverrebbe essere accetto: però io lo indirizzo alla Magnificentia di Giuliano.

Extraits traduits (ma traduction):


Je reste au mas, et depuis mes dernières affaires, je n’ai pas été, à les compter tous, 20 jours à Florence. (…) Je me lève le matin avec le soleil et m’en vais en l’un de mes bois que je mets en coupe, où je reste deux heures à revoir l’ouvrage du jour précédent et à passer du temps avec ces bûcherons qui ont toujours quelque mésaventure en cours, ou entre eux ou avec leurs voisins. (…) Après le bois, je vais à une fontaine et de là à mon oiselage. J’ai un livre sur moi, ou Dante ou Pétrarque, ou l’un de ces poètes mineurs, comme Tibulle, Ovide et semblables: je lis leurs passions amoureuses et leurs amours, me rappelle les miennes, et je jouis un moment dans cette pensée. Je me rends ensuite sur la route à l’auberge, je parle avec ceux qui passent, je demande des nouvelles de leurs pays, j’apprends des choses diverses, je remarque des goûts divers et diverses fantaisies humaines. Arrive cependant l’heure de déjeuner, avec la famille, je mange de ces mets que ce pauvre mas et modeste domaine produit. Après manger, je retourne à l’auberge: l’aubergiste y est d’ordinaire, un boucher, un meunier, deux chaufourniers. Avec eux je m’encanaille toute la journée à jouer à la crique, au tric-trac, d’où naissent mille contestations et d’infinis échanges irrités de paroles injurieuses, et la plupart des fois on se dispute pour un sou et on ne nous entend pas moins crier depuis San Casciano. Ainsi, plongé au milieu de ces poux, je tâche de garder mon cerveau de moisir, et j’épanche la malignité de ce mien sort, me faisant content qu’elle me piétine de cette manière, pour voir s’il n’en aura pas honte.

Le soir venu, je retourne chez moi, et entre dans mon cabinet; et sur le seuil, je me dépouille de ce vêtement journalier, plein de fange et de boue et me mets en habits royaux et curiaux; et vêtu décemment pour l’occasion j’entre dans les cours antiques des hommes antiques, où, reçu par eux avec amitié, je me nourris de cet aliment qui seul est mien et pour lequel je suis né; où je n’ai pas honte de parler avec eux, et de leur demander raison de leurs actions; et eux, dans leur humanité, me répondent; et pour 4 heures, je ne sens le moindre ennui, j’oublie tout souci, je ne crains pas la pauvreté, la mort ne me trouble pas: je me livre tout entier à eux. Et parce que Dante dit qu’il n’y a pas de science sans la rétention de ce qui a été compris, j’ai noté ce qui par leur conversation m’est apparu important, et composé un opuscule de Principatibus, dans lequel je m’enfonce autant qu’il m’est possible dans les considérations de ce sujet, discutant ce qu’est un principat, quelles sont leurs espèces, comment ils s’acquièrent, comment ils se maintiennent, pourquoi ils se perdent. Et si aucune mienne fantaisie vous plut jamais, celle-ci ne devrait pas vous déplaire; et elle devrait convenir à un prince, spécialement à un prince neuf: c’est pourquoi je le dédie à la Magnificence de Julien [de Médicis].

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