Benoît XVI et l’Islam: analyses diverses

L’erreur de Benoît XVI / par Henri PENA-RUIZ

Saint Anselme lui-même affirmait que l’Eglise doit user de deux glaives : le glaive spirituel de l’excommunication et le glaive temporel du châtiment corporel, allant jusqu’à la mise à mort des hérétiques et des mécréants.

Quant à Victor Hugo, croyant, il ne transige pas non plus : «Nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de service. C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie. C’est lui qui fait défense à la science et au génie d’aller au-delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu’a faits l’intelligence de l’Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est écrite dans l’histoire du progrès humain, mais elle est écrite au verso» (discours du 20 janvier 1850).

Quant aux philosophes grecs, c’est au travail de penseurs arabes, comme Averroès, que l’on doit en large part le sauvetage de leur héritage, à une époque où la chrétienté ne retenait d’eux que ce qui pouvait concorder avec la doctrine religieuse.

Le contraste mis en exergue par Benoît XVI ne tient donc que sur la base de deux arguments peu recevables : d’une part, la thèse de la solidarité historique entre christianisme et raison. D’autre part, le silence fait sur l’islam des Lumières, notamment celui d’Averroès, qui reconnaissait à la raison humaine le pouvoir d’interpréter les versets du Coran lorsque leur sens littéral la heurte (voir le Discours décisif ).

Quelle est l’erreur commune au pape et à Al-Qaeda ? Celle qui consiste à se référer à des traditions closes, territorialisées, et à confondre les civilisations avec les religions.

Le pape, la grenade et les pincettes / Daniel SCHNEIDERMANN

On peut même penser, au vu de ses premiers pas en matière de dialogue interreligieux, que cette gaffe, comme beaucoup de gaffes, trahit une adhésion inconsciente ou inavouable de Benoît XVI à la vision islamophobe du Byzantin.

Ainsi assiste-t-on à la démonstration en direct de la manière dont un système médiatique surpuissant et aveugle peut, en toute bonne conscience, suivant son implacable logique, provoquer l’étincelle du choc des civilisations.

La raison unique de Benoît XVI / Robert Pollard ancien professeur d’histoire-géographie

C’est alors que la conclusion papale prend toute sa dimension quand il dit, à Ratisbonne, devant les «représentants de la science» (Galilée était absent…): «L’Occident est depuis longtemps menacé par l’aversion contre les interrogations fondamentales de sa raison et il ne peut qu’en subir un grand dommage. Le courage de s’ouvrir à l’amplitude de la raison, et non le refus de sa grandeur, tel est le programme par lequel une théologie engagée dans la réflexion sur la foi biblique entrera dans les débuts du temps présent.»

Véritable déclaration de guerre… aux incroyants et non-pratiquants, aux scientifiques, aux philosophes de l’athéisme et de l’agnosticisme, aux hommes libres de ne pas croire, aux fauteurs de désordre, aux anticapitalistes, aux échappés du Logos et de l’Eden.

Le Monde.fr : L’oecuménisme, victime collatérale de Benoît XVI, par Jean-François Colosimo

En quoi y avait-il nécessité de réveiller la mémoire de l’infortuné vassal du sultan Bajazet, politicien hasardeux et polémiste mineur, père du dernier empereur, Constantin XI, mort sur les remparts de Constantinople ?

Le discours de Ratisbonne, en effet, ne vise pas l’islam, ou à la marge, mais Scot, Occam, le nominalisme et, partant, la Réforme, Luther, Calvin. Il ranime une antique querelle, fondatrice de la culture européenne, aussi cruciale qu’oubliée : Dieu est-il Etre ou Volonté ?

Ses XXVIe Conversations avec un Perse, rédigées à l’extrême fin du XIVe siècle, témoignent, sur fond d’agonie de l’Empire, de l’influence tardive des traités latins antimusulmans, nés avec les royaumes francs de Terre sainte et marqués par un antagonisme militant. Manuel, pour l’essentiel, répète son aïeul Jean Cantacuzène, le moine-empereur, dont l’argumentaire emprunte beaucoup au Confutatio Alchorani du frère prêcheur Ricoldo de Montecroce, traduit en grec par Démétrios Kydonès, un lettré précisément passé à l’ordre dominicain.

Le radicalisme de Manuel Paléologue s’institue à rebours de la tradition orthodoxe de dialogue avec l’islam initié par Jean de Damas dès le VIIIe siècle, illustrée par Paul d’Antioche au XIIIe siècle, et dont aujourd’hui Georges Khodr, l’évêque du Mont-Liban, est le continuateur. Une tradition d’autant plus attentive qu’elle se sait garante du lien entre Jérusalem, Athènes, Rome et l’arabité.

Si l’on considère que le défi de l’islam, afin qu’il exorcise l’islamisme, tient à la levée de son silence sur ses origines et ses sources, mieux vaut alors éviter de rendre ce silence assourdissant. C’est là-dessus que l’orthodoxie, forte d’une expérience multiséculaire, plutôt que d’être exposée, mériterait d’être écoutée.

Benoit XVI et l’Islam: analyses catholiques

Benoît XVI et les musulmans / Jean-Marie Gaudeul

Leur première source d’étonnement vient du fait que pour trouver un exemple à ne pas suivre, il est allé puiser chez les musulmans, comme s’il n’en existait pas dans la longue histoire des débats théologiques du Christianisme. L’impression – première et superficielle, j’en conviens – qu’on en retire est que la rationalité se trouve chez les chrétiens et non dans l’islam.

A juste titre, les musulmans nous citent l’exemple des Mu’tazilites ou des Philosophes qui, tout musulmans qu’ils étaient, en venaient à dire que la vérité recherchée par les philosophes est du même ordre que la vérité prêchée par les prophètes à travers des symboles. On pense à Avicenne ou à Averroès. Notons, en passant, que beaucoup de penseurs musulmans du 20ème siècle sont, en fait, des néo-mu’tazilites.

« Assurément l’empereur savait que dans la sourate 2, 256 on peut lire : « Nulle contrainte en religion ! ». C’est l’une des sourates de la période initiale, disent les spécialistes, lorsque Mahomet lui-même n’avait encore aucun pouvoir et était menacé. Mais naturellement l’empereur connaissait aussi les dispositions, développées par la suite et fixées dans le Coran, à propos de la guerre sainte. »

Il s’agit là des propos du pape lui-même. L’ennui, c’est que ce verset coranique – de l’avis unanime de tous les commentateurs – tant chrétiens que musulmans – n’est pas de la période initiale, mais bien de la période médinoise quand Muhammad est en position d’autorité.

Ajoutons que présenter Dieu comme libre de nos petites logiques est un thème familier de la littérature biblique : « Mes pensées ne sont pas vos pensées – comme le ciel est au-dessus de la terre ainsi ma pensée au-dessus des vôtres – vos meilleures pensées sont comme du linge sale – les voies de Dieu sont insondables et incompréhensible ses voies, – ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu… etc… » Il n’est pas sûr que les penseurs musulmans voulaient dire autre chose que cela !

Bon nombre de leaders musulmans souhaitent un apaisement rapide de la crise; mais il serait dangereux de refuser de reconnaître que le texte de Benoît XVI contient des inexactitudes et qu’il donne trop d’importance à une citation d’un auteur marginal.

Le projet proposé par Benoît XVI / le père Samir Khalil Samir

Mais tandis que le monde musulman a pratiquement perdu le lien avec sa grande tradition médiévale, qui avait donné naissance à cette extraordinaire floraison que l’on a appelée ’la Renaissance abbasside’, laissant le religieux dominer totalement le rationnel jusqu’à aboutir au XIV e-XVe siècles à ce que l’on a appelé ’la Décadence’ (’asr al-inhitât), le monde chrétien en Occident a poursuivi son parcours cherchant à maintenir sans cesse ce lien indissociable entre foi et raison, jusque ce que la bourrasque du XIX e siècle n’ait initié cette lente décadence spirituelle.

Sous certains aspects ce discours s’applique autant à nos frères juifs comme à nos frères chrétiens. Jusques à quand allons-nous régler nos problèmes internationaux par la guerre et la violence ? N’est-ce pas assez de deux générations humiliées en cette Terre sainte qui est de tous ?

Certes, il y a eu maladresse de la part de ce Père. Peut-être était-il tellement pris par la dimension académique de son discours qu’il en oublia les retombées politiques possibles ? Peut-être ne s’est-il pas encore fait à sa nouvelle fonction de pape, avec ce qu’elle implique aussi de fonction politique ? Je pense qu’il a cependant quelque chose à nous dire et qu’il serait raisonnable de lui laisser sa chance.

Benoit XVI et l’Islam: Rochdy Alili

Un regard d’historien sur la référence par le pape Benoit XVI à un texte de l’empereur byzantin Manuel II dans son discours du 12 septembre 2006 à Ratisbonne. (Oumma.com : L’Islam en toute liberté)

Manuel II, face à la menace qui le pressait, envoie de multiples demandes aux souverains d’Europe occidentale et au pape de Rome, seul reconnu par lui. Rien ne se passe. Seul le pauvre roi de France, Charles VI, mande le maréchal de Boucicaut avec une troupe aguerrie de mille deux cents hommes, qui parvient à entrer dans Constantinople et participe aux combats contre les Turcs.

S’il faut parler franc, je ne vois pas quelle pertinence il peut y avoir à se référer à cette littérature de controverse de la fin du XIVe siècle et à poser, en tant que pape, dans une université allemande en 2006, la question de la foi et de la raison à partir d’un dialogue médiéval de ce type. Tenant compte de l’aliénation des masses musulmanes, entretenue par l’injustice du monde qui se dit développé, tenant compte de la célérité que mettent à les enflammer des autocrates tyranniques et des religieux rétrogrades, tenant compte de l’efficacité et de la vitesse des moyens actuels de communication, il aurait été préférable que l’éminent et docte Joseph Ratzinger choisît avec mieux de discernement ses références de départ.

« Ni le Coran ni la tradition n’ont jamais demandé d’étendre l’islam par l’épée. » (Oumma.com : L’Islam en toute liberté)

Le verset 256 de la sourate II, est un verset unanimement reconnu par les commentateurs musulmans et les islamologues non musulmans comme un verset de Médine, donc loin d’être une révélation primitive et liée à la seule raison que Muhammad ne disposait pas encore, ainsi que cela est sous entendu, du monopole de la violence légitime. Sa révélation est consécutive, selon la tradition, au fait que des Médinois musulmans voulaient contraindre leurs propres enfants, nés dans le judaïsme et le christianisme, à se convertir à l’islam. Ils furent réprouvés par le prophète qui recut en confirmation de son intuition le verset dans la forme suivante :

« Point de contrainte en matière de religion : droiture est désormais bien distincte d’inanité. Dénier l’idole, croire en Dieu, c’est se saisir de la ganse solide, que rien ne peut rompre. Dieu est Entendant, Connaissant. »

En réalité le jihad dans le Coran se définit fondamentalement comme une guerre de défense contre les agressions des ennemis idolâtres de l’islam, à savoir les propres membres de la tribu de Muhammad souvent dénoncés avec véhémence comme les « dénégateurs », selon la traduction de Jacques Berque, ou les « mécréants », selon celle du Cheikh Si Hamza Boubakeur ou les « infidèles » selon celle de Kazimirski pour ne citer que celles-ci.

L’on s’est fait depuis à l’idée que, puisque les chrétiens considéraient les musulmans comme des infidèles, les musulmans devaient à leur tour considérer les chrétiens comme des infidèles.

Cela n’est en aucune manière le cas. Et lorsque Dieu appelle avec véhémence à s’opposer aux mécréants , dénégateurs, infidèles, il ne s’agit que des contribules idolâtres opposés au prophète, en aucune manière ni des chrétiens ni des juifs, qui ne doivent jamais faire l’objet de jihad, même si les appréciations coraniques à leur égard sont parfois contradictoires.

On nous donne aussi des leçons et des conseils, ici ou là sur le fait que nous aurions à progresser dans tel ou tel domaine, et je ne crois pas solliciter abusivement l’opinion des musulmans en disant que ce genre d’exhortations paternalistes a pour effet en général d’indisposer au plus haut point. Qu’on arrête de discriminer les musulmans, qu’on arrête d’agresser les pays d’islam, qu’on arrête de soutenir les régimes autoritaires qui maintiennent les peuples d’islam dans la misère, l’ignorance et l’aliénation, qu’on arrête de ponctionner énergie et matières premières au seul profit du monde développé sans penser un seul instant à l’avenir et à la survie des masses musulmanes. Après, on se laissera peut être donner des conseils.

Ni le Coran ni la tradition n’ont jamais demandé d’étendre l’islam par l’épée ni de convertir, serait-ce même par la douceur, ni les chrétiens ni les gens possédant un Livre, ce qui comprenait tout le monde dans l’Asie du VIIe siècle. Cela fut compris d’ailleurs de manière très extensive dans la pratique et l’on a des exemples de communautés sans Livre véritable, un peu insaisissables et spéciales dans le grand orient religieux, que l’on affuble d’un des noms prévus par le Coran (voir par exemple II, 62 ; V., 69 ; XXII, 17) pour les laisser en paix.

ce sont précisément les « dénégateurs » dénoncés par le Coran, les Qurayshites contribules du prophète et ennemis de l’islam, finalement gagnés à la nouvelle religion, qui sont les chefs et les organisateurs les plus efficaces de cette expansion

les califes de cette dynastie ont freiné le mouvement d’islamisation volontaire des peuples conquis pour ne pas tarir la source de revenus fiscaux qu’ils procuraient. Ils sont même allés jusqu’à refuser d’accorder l’exemption des impots aux nouveaux convertis non arabes, ainsi que le principe d’égalité entre musulmans le leur commandait. Ils se moquaient donc bien de convertir et se préoccupaient surtout de s’enrichir.

Il s’est instauré ainsi une manière de vivre ensemble qui a permis de voir plus tard à la cour des califes de Bagdad, les patriarches de toutes les confessions chrétiennes de l’orient, les gaonim juifs, les chefs manichéens, des mages mazdéens et d’autres, et de préserver jusqu’à aujourd’hui pratiquement toutes les communautés présentes à l’arrivée de l’islam.

Pour ma part, je passe sur l’inopportunité du choix, même si je ne crois pas à une simple maladresse. Il faut pardonner et continuer à se parler, en connaissance de cause, franchement, sans visée polémique. Nous n’allons pas nous brouiller pour un discours papal, même si étrangement fermé, avec tous nos amis et nos frères chrétiens

L’empereur Jean V, père de Manuel II avait lui même quitté Constantinople pour se rendre à Rome en 1369. Il s’était converti, tenez vous bien, à la « foi romaine » pour obtenir secours.

Et je vous rappelle pour finir sur ce point que le dernier empereur byzantin, Constantin XI s’accrochait lui aussi, comme son grand père Jean V, à la possibilité de survivre grâce à l’union avec Rome. Il accepta donc une renonciation à la foi orthodoxe à la fin 1452, proclamée dans sainte Sophie et suivie d’une messe romaine. Le sentiment profond des Byzantins fut alors exprimé par un notable : « Plutôt voir le turban turc dans Constantinople que la mitre latine ». Six mois plus tard le jeune sultan Mehmet II entrait dans la ville.

le sultan vainqueur organisait aussitôt après sa victoire un empire multiconfessionnel dans lequel les chrétiens de toutes sortes, outre les orthodoxes grecs, comme les arméniens et les syriaques, et les juifs aussi, eurent leur place et leurs droits. Y venaient se réfugier, à de multiples périodes de l’histoire, les juifs de l’Europe chrétienne depuis ceux de Grenade en 1492, jusqu’à ceux de l’Europe antisémite du XXe siècle.

De cette manière l’empire ottoman comptait vers la fin de la dynastie autant de sujets chrétiens que de sujets musulmans. Seules les ingérences des puissances européennes et le poison du national confessionnalisme, qui définit l’identité d’une région et de ses habitants par leur appartenance religieuse, cette géniale invention de la culture d’Europe, a mis fin à cet état de choses, contribuant peu à peu, dans tout le Proche orient à contaminer les esprits et les cœurs, entre autres ceux des musulmans.

A l’époque où Mehmet II prend Constantinople, il y a encore des musulmans en Espagne.

Aujourd’hui il ne reste aucun descendant de ces musulmans dans la péninsule ibérique après les siècles de splendeur de la très catholique Espagne. En revanche il demeure de nos jours la même population chrétienne orthodoxe dans les Balkans, avec des patriarches toujours présents, après six cents ans de « joug » turc. C’est sans doute la conséquence de la prescription par le prophète, comme le disait Manuel II, cité par Benoit XVI, d’aller « répandre la foi qu’il prêchait par le glaive. »

Ce que je regrette donc, c’est que la grande culture européenne académique, dont le pape est un représentant éminement respectable n’ait pas inclus dans ses fondements une connaissance suffisante et honnête de l’islam.

Benoit XVI et l’Islam: Malek Chebel

Le Monde.fr : La longue quête d’un islam des Lumières

Le déclin de l’islam a commencé, en effet, avec la Reconquista catholique de l’Espagne en 1492. Jusque-là, sa vitalité intellectuelle était sans comparaison. 1492 est une date à marquer au fer rouge. Elle signe la fin de la maîtrise musulmane sur le monde physique, l’exploration de la nature, la curiosité philosophique et scientifique. C’est l’échec du projet musulman fondé sur la rationalité. 1492 : les musulmans sortent de l’Histoire. 1492 : les chrétiens rentrent dans l’Histoire avec la découverte de l’Amérique.

Pour l’islam, la tradition critique – et de l’autocritique – n’a jamais été une discipline significative. L’islam a toujours fonctionné sur le trépied suivant : les « guerriers » qui se réclament du djihad, les « théologiens » qui leur fournissent une légitimation sacrée, et les « marchands » qui financent. Au-dessus : le calife ; mais, à la marge, toujours, les intellectuels, les libres-penseurs, les philosophes…

Je reconnais à chacun le droit de nous interpeller sur nos failles et nos déficiences. Nous avons besoin du regard de l’autre pour progresser dans la voie des réformes. Je reconnais donc le droit à toute autorité d’une autre religion de nous alerter. Pour autant, je suis dubitatif devant l’argument selon lequel l’islam serait intrinsèquement violent. Cette idée ne favorise en rien le dialogue.

Là est le problème : on met trois semaines pour fabriquer un terroriste, trente ans pour fabriquer un intellectuel critique. Tant qu’on est dans ce rapport pervers au temps, on sera la proie de cette violence à bas prix qui éclabousse l’ensemble de la communauté. Tant qu’on n’a pas pris le parti de former des esprits critiques, capables d’interpréter le texte, de dialoguer avec l’autre, on sera toujours à la recherche d’un islam de paix perdu, d’un islam des Lumières.

Benoit XVI et l’Islam: Tariq Ramadan

Le Pape et l’islam : le vrai débat (Oumma.com : L’Islam en toute liberté)

on assiste à des mouvements populaires de protestation dont la caractéristique première est un débordement émotionnel absolument incontrôlé. Ces masses en ébullition donnent l’impression qu’on ne débat pas chez les musulmans et que le verbe agressif et la violence sont davantage la règle que l’exception. Il est de la responsabilité des intellectuels musulmans de ne pas jouer à ce jeu dangereux et tout à fait contre productif.

On peut être surpris de cette référence au savant zahirite Ibn Hazm (respecté mais néanmoins marginal) pour questionner la relation de l’islam avec la rationalité.

Est-il sage, et juste, que les musulmans s’offusquent du contenu de cette citation – parce qu’elle aurait été choisie par le Pape – et qu’ils fassent mine d’oublier que depuis cinq ans, ils sont quotidiennement questionnés sur le sens du « jihâd » et de l’usage de la violence. Le Pape Benoît XVI est à l’image de son temps et il pose aux musulmans les questions de son temps : c’est avec de la clarté et de solides arguments qu’il faut répondre en commençant, par exemple, par refuser que l’on traduise « jihâd » par « guerre sainte ».

Aux rationalistes laïques, qui voudraient débarrasser les Lumières de la référence chrétienne, il rappelle que cette dernière participe de l’identité européenne et qu’il leur sera impossible de dialoguer avec les autres religions s’ils nient le socle chrétien de leur identité (qu’ils soient croyants ou non).

C’est à cela que les musulmans doivent répondre d’abord en contestant cette lecture de l’histoire de la pensée européenne où le rationalisme musulman n’aurait joué aucun rôle et où on réduirait la contribution arabo-musulmane à la seule traduction des grandes œuvres grecques et romaines.

L’Europe doit se réconcilier avec la diversité de son passé afin de maîtriser le pluralisme impératif de son avenir. L’approche réductrice du Pape n’aide pas à la réalisation de cette réappropriation : une approche critique ne devrait point attendre de lui des excuses mais simplement, raisonnablement, lui prouver qu’il se trompe historiquement, scientifiquement et, au fond, spirituellement. Ce serait également un moyen pour les musulmans d’aujourd’hui de se réconcilier avec l’édifiante créativité des penseurs musulmans européens du passé qui non seulement étaient intégrés mais qui ont profondément contribué, nourri et enrichi de leurs réflexions critiques l’Europe comme l’Occident.

Version anglaise: A struggle over Europe’s religious identity – Editorials & Commentary – International Herald Tribune

Le Monde.fr : Construisons un nouveau « nous », par Tariq Ramadan

Face aux peurs légitimes, les Occidentaux musulmans ne peuvent se contenter de minimiser ou de se poser en victimes. Ils doivent élaborer un discours critique qui dénonce les lectures radicales, littéralistes et/ou culturelles des textes religieux. Il est important qu’ils ne cautionnent pas la confusion ambiante dans les débats de société : les problèmes sociaux et l’immigration ne sont pas des « problèmes religieux » et n’ont rien à voir avec l’islam.

Des propos racistes se généralisent, on relit le passé en déniant à l’islam la moindre participation à la formation de l’identité occidentale, désormais purement « gréco-romaine » et « judéo-chrétienne ».

Sous peine de provoquer une compétition des mémoires blessées, il faut un enseignement plus objectif de « notre » histoire qui intègre les mémoires qui participent de la collectivité actuelle.

« La shari’a façonne la société du début à la fin… » / Joseph Ratzinger (1997)

Traduction de quelques extraits d’un texte pris dans « Salt of the Earth. The Church at the End of the Millennium », an interview with Peter Seewald / Joseph Ratzinger (Ignatius Press, San Francisco, 1997) et mis en ligne sur le site www.chiesa à la suite d’un bon résumé de l’affaire Fessio (le père Fessio SJ est le directeur des éditions Ignatius Press).

La discussion actuelle en Occident sur la possibilité de facultés de théologie islamique, ou à propos de l’idée de l’Islam comme entité légale, présuppose que toutes les religions ont fondamentalement la même structure, qu’elles s’adaptent toutes au système démocratique avec ses régulations et les possibilités ouvertes par ces régulations. En soi, cependant, cela contredit nécessairement l’essence de l’Islam, lequel simplement ne sépare pas la sphère politique et la sphère religieuse comme le fait le christianisme depuis le début.

Ainsi les musulmans ont aujourd’hui la conscience qu’en réalité l’Islam est restée à la fin la religion la plus vigoureuse et qu’ils ont quelque chose à dire au monde, de fait, qu’ils sont la force religieuse essentielle du futur. Auparavant, la shariah et toutes ces choses avaient déjà quitté la scène, en un sens; à présent il y a une nouvelle fierté. De là un nouvel élan, une nouvelle intensité quant à la volonté de vivre l’Islam s’est éveillée. C’est un grand pouvoir: nous avons un message moral qui a existé sans interruption depuis les prophètes, et nous allons dire au monde comment le vivre, alors que les chrétiens ne le peuvent certainement pas. Nous devons naturellement composer avec ce pouvoir interne de l’Islam, qui fascine jusqu’aux cercles savants.

L’interview du père Fessio par Hugh Hewitt (extr.)

L’interview du père Joseph Fessio, jésuite, élève et ami du Pape, fondateur d’Ignatius Press, éditeur en anglais de Joseph Ratzinger, rend compte d’un rencontre avec le Pape à Castel Gandolfo en septembre 2005, faite dans une série de rencontres entre le théologien puis Pape (voir ci-dessous) dans laquelle on peut inscrire la conférence de Ratisbonne du 12 de ce mois.

On trouve l’intégralité de l’interview, partiellement traduite ici, sur le site Radio Blogger. Les propos du père Fessio ont fait l’objet d’une rétractation partielle citée ci-dessous. On trouve un bon résumé de l’affaire Fessio sur le site www.chiesa.

la thèse proposée par ce savant [Fazlur Rahman, théologien musulman pakistanais, thèse exposée au cours de la rencontre par le père Troll SJ] était que l’Islam peut entrer dans le monde moderne si le Coran est réinterprété en mettant à part la législation spécifique et en retournant aux principes, et en les adaptant alors à notre époque, en particulier avec la dignité que nous assignons aux femmes, laquelle est venue à travers la chrétienté, évidemment. Et immédiatement, le Saint Père, avec son beau calme mais clairement, dit: bien, ceci pose un problème fondamental, parce que, dit-il, dans la tradition islamique, Dieu a donné Sa parole à Mohammed mais c’est une parole éternelle. Ce n’est pas la parole de Mohammed. Elle est telle qu’elle est pour l’éternité. Il n’y a pas de possibilité de l’adapter ou de l’interpréter…

Précisions données ensuite par le père Fessio sur le blogue d’Ignatius Press (extrait):

J’ai fait une sérieuse erreur d’imprécision lorsque j’ai dit que le Coran « ne peut être interprété ou ajusté » et qu’il n’est « pas possible de l’adapter ou de l’interpréter ». Ce n’est certainement pas ce que le Saint Père a dit. Evidemment le Coran peut être et a été interprété et ajusté.

L’affaire Fessio a fait infiniment moins de bruit que le discours de Ratisbonne: il n’y avait pas de discours du Pape en nom propre et la bombe a été promptement désamorcée. On ne peut cependant pas être frappé par l’analogie entre les deux affaires. La lecture de l’ensemble de l’interview donne pas mal d’informations sur le contexte de l’affaire de Ratisbonne, en particulier sur une certaine ambiance intellectuelle autour du cardinal Ratzinger.

Plus d’extraits après le saut…

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