L’erreur de Benoît XVI / par Henri PENA-RUIZ
Saint Anselme lui-même affirmait que l’Eglise doit user de deux glaives : le glaive spirituel de l’excommunication et le glaive temporel du châtiment corporel, allant jusqu’à la mise à mort des hérétiques et des mécréants.
Quant à Victor Hugo, croyant, il ne transige pas non plus : «Nous connaissons le parti clérical. C’est un vieux parti qui a des états de service. C’est lui qui monte la garde à la porte de l’orthodoxie. C’est lui qui fait défense à la science et au génie d’aller au-delà du missel et qui veut cloîtrer la pensée dans le dogme. Tous les pas qu’a faits l’intelligence de l’Europe, elle les a faits malgré lui. Son histoire est écrite dans l’histoire du progrès humain, mais elle est écrite au verso» (discours du 20 janvier 1850).
Quant aux philosophes grecs, c’est au travail de penseurs arabes, comme Averroès, que l’on doit en large part le sauvetage de leur héritage, à une époque où la chrétienté ne retenait d’eux que ce qui pouvait concorder avec la doctrine religieuse.
Le contraste mis en exergue par Benoît XVI ne tient donc que sur la base de deux arguments peu recevables : d’une part, la thèse de la solidarité historique entre christianisme et raison. D’autre part, le silence fait sur l’islam des Lumières, notamment celui d’Averroès, qui reconnaissait à la raison humaine le pouvoir d’interpréter les versets du Coran lorsque leur sens littéral la heurte (voir le Discours décisif ).
Quelle est l’erreur commune au pape et à Al-Qaeda ? Celle qui consiste à se référer à des traditions closes, territorialisées, et à confondre les civilisations avec les religions.
Le pape, la grenade et les pincettes / Daniel SCHNEIDERMANN
On peut même penser, au vu de ses premiers pas en matière de dialogue interreligieux, que cette gaffe, comme beaucoup de gaffes, trahit une adhésion inconsciente ou inavouable de Benoît XVI à la vision islamophobe du Byzantin.
Ainsi assiste-t-on à la démonstration en direct de la manière dont un système médiatique surpuissant et aveugle peut, en toute bonne conscience, suivant son implacable logique, provoquer l’étincelle du choc des civilisations.
La raison unique de Benoît XVI / Robert Pollard ancien professeur d’histoire-géographie
C’est alors que la conclusion papale prend toute sa dimension quand il dit, à Ratisbonne, devant les «représentants de la science» (Galilée était absent…): «L’Occident est depuis longtemps menacé par l’aversion contre les interrogations fondamentales de sa raison et il ne peut qu’en subir un grand dommage. Le courage de s’ouvrir à l’amplitude de la raison, et non le refus de sa grandeur, tel est le programme par lequel une théologie engagée dans la réflexion sur la foi biblique entrera dans les débuts du temps présent.»
Véritable déclaration de guerre… aux incroyants et non-pratiquants, aux scientifiques, aux philosophes de l’athéisme et de l’agnosticisme, aux hommes libres de ne pas croire, aux fauteurs de désordre, aux anticapitalistes, aux échappés du Logos et de l’Eden.
Le Monde.fr : L’oecuménisme, victime collatérale de Benoît XVI, par Jean-François Colosimo
En quoi y avait-il nécessité de réveiller la mémoire de l’infortuné vassal du sultan Bajazet, politicien hasardeux et polémiste mineur, père du dernier empereur, Constantin XI, mort sur les remparts de Constantinople ?
Le discours de Ratisbonne, en effet, ne vise pas l’islam, ou à la marge, mais Scot, Occam, le nominalisme et, partant, la Réforme, Luther, Calvin. Il ranime une antique querelle, fondatrice de la culture européenne, aussi cruciale qu’oubliée : Dieu est-il Etre ou Volonté ?
Ses XXVIe Conversations avec un Perse, rédigées à l’extrême fin du XIVe siècle, témoignent, sur fond d’agonie de l’Empire, de l’influence tardive des traités latins antimusulmans, nés avec les royaumes francs de Terre sainte et marqués par un antagonisme militant. Manuel, pour l’essentiel, répète son aïeul Jean Cantacuzène, le moine-empereur, dont l’argumentaire emprunte beaucoup au Confutatio Alchorani du frère prêcheur Ricoldo de Montecroce, traduit en grec par Démétrios Kydonès, un lettré précisément passé à l’ordre dominicain.
Le radicalisme de Manuel Paléologue s’institue à rebours de la tradition orthodoxe de dialogue avec l’islam initié par Jean de Damas dès le VIIIe siècle, illustrée par Paul d’Antioche au XIIIe siècle, et dont aujourd’hui Georges Khodr, l’évêque du Mont-Liban, est le continuateur. Une tradition d’autant plus attentive qu’elle se sait garante du lien entre Jérusalem, Athènes, Rome et l’arabité.
Si l’on considère que le défi de l’islam, afin qu’il exorcise l’islamisme, tient à la levée de son silence sur ses origines et ses sources, mieux vaut alors éviter de rendre ce silence assourdissant. C’est là-dessus que l’orthodoxie, forte d’une expérience multiséculaire, plutôt que d’être exposée, mériterait d’être écoutée.