Deleuze et Guattari, la nouvelle, le conte et le roman

Mille plateaux, p. 235:

L’essence de la « nouvelle », comme genre littéraire, n’est pas très difficile à déterminer: il y a nouvelle lorsque tout est organisé autour de la question « Qu’est-ce qui s’est passé ? Qu’est-ce qui a bien pu se passer ? » Le conte est le contraire de la nouvelle, parce qu’il tient le lecteur haletant sous une tout autre question: qu’est-ce qui va se passer ? Toujours quelque chose va arriver, va se passer. Quant au roman, lui, il s’y passe toujours quelque chose, bien que le roman intègre dans la variation de son perpétuel présent vivant (durée) des éléments de nouvelle et de conte.

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le « drame » de Tolstoï (« Anna Karénine », Nabokov)

D’Anna Karénine, Nabokov en dit tout ce qu’il y a à en dire, ou du moins l’essentiel, à cette réserve près qu’il minimise, euphémisme l’effet du côté prêcheur de Tolstoï, et ce que je considérerais volontiers comme un drame. La longue lecture du roman que j’ai voulu mener jusqu’au bout et qui a fait mon mois de septembre a été une suite de longs tunnels d’ennui, plus ou moins profonds, et d’éblouissements, d’épiphanies. Jusqu’à cette course d’Anna à la mort, qui coupe le souffle (malheureusement suivie d’une nouvelle séance de prêche).

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Kitaï-gorod

Épreuves

Dans un café de Kitai-gorod
après 15 ans d’accumulation primitive
où les pièces se comptaient en rondelles de saucisse
Dans un café de Kitai gorod
à nuit tombée ils se disaient
qu’ils s’étaient fait avoir qu’ils
z’avaient vendu leur âme pour un double cheese et grand Coca
pour un plat de lentilles capitaliste
leur âme leur l’oisir et le goût des belles choses
celles qu’on n’achète pas

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découverte(s)?

Épreuves

What did Europeans actually discover? Not all that much

Cet article dans mes fils rss de ce matin (03 février), que je mets de côté parce que j’ai toujours en tête l’idée de mettre en ordre et de compléter mes notes sur Christophe Colomb. En attendant j’extrais ça:

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En marge des premiers carnets canadiens: « corps de monde »

Épreuves

C’est sur la rive nord du Saint-Laurent que sont les villes, les trois villes: Montréal, Trois-Rivières et Québec. L’autoroute de la rive sud, qui est le chemin le plus droit et le plus rapide vers le nord-est, traverse ainsi une plaine immense et sans ville. J’ai roulé une journée entière, d’abord avec le vieil homme qui m’avait accueilli à la descente d’avion, puis seul, et je n’ai pas rencontré de ville, jusqu’à ce que je sois arrivé à Rimouski, qui ne compte que quinze mille habitants (j’avais cherché à Nice sur un atlas et je m’étais renseigné). Nous avions commencé par traverser Montréal mais je n’en avais vu qu’un étalement de faubourgs à perte de vue et rien qui ressemblât à une ville. Le voyage a duré une journée pleine et c’est au tomber de la nuit, tandis que le ciel s’obscurcissait, que je suis arrivé dans le pays où…

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l’obsessionnel (Lacan, céder sur son désir 2)

Fonction et champ de la parole et du langage (1953), in Ecrits, p. 314

« L’obsessionnel manifeste en effet une des attitudes que Hegel n’a pas développées dans sa dialectique du maître et de l’esclave. L’esclave s’est dérobé devant le risque de la mort, où l’occasion de la maîtrise lui était offerte dans une lutte de pur prestige. Mais puisqu’il sait qu’il est mortel, il sait aussi que le maître peut mourir. Dès lors il peut accepter de travailler pour le maître et de renoncer à la jouissance entre-temps: et, dans l’incertitude du moment où arrivera la mort du maître, il attend.

Telle est la raison intersubjective tant du doute que de la procrastination qui sont des traits de caractère chez l’obsessionnel.

Cependant tout son travail s’opère sous le chef de cette intention, et devient de ce chef doublement aliénant. Car non seulement l’œuvre du sujet lui est dérobée par un autre, ce qui est la relation constituante de tout travail, mais la reconnaissance par le sujet de sa propre essence dans son oeuvre où ce travail trouve sa raison, ne lui échappe pas moins, car lui-même « n’y est pas », il est dans le moment anticipé de la mort du maître, à partir de quoi il vivra, mais en attendant quoi il s’identifie à lui comme mort, et ce moyennant quoi il est lui-même déjà mort. Néanmoins il s’efforce à tromper le maître par la démonstration des bonnes intentions manifestées dans son travail. C’est ce que les bons enfants du catéchisme analytique expriment dans leur rude langage en disant que l’ego du sujet cherche à séduire son super-ego.« 

Le fameux passage du Séminaire de juillet 1960 où il est énoncé « que la seule chose dont on puisse être coupable, (…), c’est d’avoir cédé sur son désir« , s’il s’ancre dans la pratique analytique, est aussi une relecture de la dialectique du maître et de l’esclave, de la Phénoménologie de l’Esprit de Hegel.

René Daumal: début de l’ascension du Mont Analogue

La nuit se tassait encore autour de nous, au bas des sapins dont les cimes traçaient leur haute écriture sur le ciel déjà de perle ; puis, bas entre les troncs, des rougeurs s’allumèrent, et plusieurs d’entre nous virent s’ouvrir au ciel le bleu lavé des yeux de leurs grand-mères. Peu à peu, la gamme des verts sortait du noir, et parfois un hêtre rafraîchissait de son parfum l’odeur de la résine, et rehaussait celle des champignons. Avec des voix de crécelle, ou de source, ou d’argent, ou de flûte, les oiseaux échangeaient leurs menus propos du matin.

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