Thèse 1. Les propositions philosophiques sont des Thèses.
Louis Althusser: Science et philosophie, vérité et justesse

Thèse 1. Les propositions philosophiques sont des Thèses.
… des scientifiques qui ne furent plus intéressés par le résultat de leur recherche mais qui ont quitté leurs laboratoires et se sont précipités au-dehors pour prêcher à la multitude leurs nouvelles interprétations de la vie et du monde.
… scientists, who no longer were interested in the result of their research but left their laboratories and hurried off to preach to the multitude their new interpretations of life and world.
Henry Corbin, Histoire de la philosophie islamique.– Gallimard, 1964.
Pour Sohravardî, une expérience mystique, sans formation philosophique préalable, est en grand danger de s’égarer; mais une philosophie qui ne tend ni n’aboutit à la réalisation spirituelle, est vanité pure. Aussi le livre qui est le vade-mecum des philosophes « orientaux » (le Kitâb Hikmat al-Ishrâq) debute-t-il par une réforme de la Logique, pour s’achever sur une sorte de mémento d’extase.
Une (longue) citation volée à Jean-François Vincent dans les commentaires du Figoblog (faut aller voir le contexte, c’est savoureux, du moins pour les bibliothécaires):
On ne peut pas rester éternellement confit dans la même confiture!
(…)
Du nouveau, mais qui soit la suite légitime de notre passé. Du nouveau et non pas de l’étranger. Du nouveau qui soit le développement de notre site naturel.
Du nouveau encore un coup, mais qui soit exactement semblable à l’ancien!
(Claudel. Le Soulier de satin, Troisième journée scène II.)
La citation complète après le saut…
Ceci est le catalogue des livres de tous les peuples, arabes et étrangers, existant dans la langue des Arabes, ainsi que de leurs écritures, concerant différentes sciences, diverses informations sur ceux qui les composèrent et les catégories de leurs auteurs, avec leurs relations et rappels de l’époque de leur naissance, longueur de leur vie et date de leur mort, et aussi de la localisation de leurs villes, leurs vertus et vices, depuis le début de la formation de chaque science jusqu’à notre temps, lequel est l’année trois cent et soixante-dix sept de l’Hégire [AD 987/8]
(D’après la traduction de Bayard Dodge, Columbia University Press, 1970.)
Abu’l-Faraj Muhammad bin Ishaq al-Warraq Ibn al-Nadim ( ابو الفضل محمد بن إسحاق الوراق ابن النديم) vécut à Baghdad au 10e siècle de l’ère commune. Il était le fils d’un libraire important et respecté de la ville. Il est dit qu’il commença la rédaction de son catalogue comme apprenti de son père, d’abord comme outil de la librairie.
Divers passages de son livre suggèrent qu’il était shi’ite et de tendance rationaliste.
(En complément du billet-citations précédent, je repêche une vieille note de journal.)
Jeudi 6 avril 1978 – Tout à l’heure en passant devant l’Huma [faubourg Poissonnière], j’ai lu à propos de la marée noire, dans le numéro de l’Humanité Dimanche de cette semaine :
« Même les vers de sable, si nécessaires à l’équilibre biologique et dont les pêcheurs se servent comme appât, crêvent. »
A comparer ce passage du Zhuangzi, lu hier soir :
l’excès d’intelligence met du désordre dans le rayonnement de la lune et du soleil, effrite les montagnes, déssèche les fleuves et perturbe la succession des quatre saisons. Ces maux vont déranger même les vers craintifs et les insectes minuscules dans leurs habitudes propres.
L’alternative est Laozi ou Nietzsche (N. dirait Schoppenhauer ou moi), c’est sensible par exemple chez Heidegger.
in: Le Livre et les livres, p. 56:
Le programme lévinassien que reprend Alain est une relève du dernier grand programme pour l’Europe – celui de Husserl, au moment de la montée du nazisme. Husserl avait défini la tâche métaphysique de l’Europe et c’est poignant de relire ces textes, tant ils ont été à l’évidence démentis par les faits, par l’ampleur de ce qui s’est révélé à partir de la catastrophe de la dernière guerre. C’était un très grand programme: défendre l’Europe, c’est défendre la raison, et il fallait donc redonner toute sa vigueur au rationalisme. (…) La question est la suivante: que ce programme puisse formellement consister, je n’en disconviens pas mais est-ce que ce programme résiste à l’érosion décrite avec tellement de talent par Alain Finkielkraut?
[En complément aux billets de janvier (billet – citation). Benny Lévy semble partager le point de vue de Gérard Granel, avec un angle un peu différent, moins heideggerien. Je ne partage pas leur point de vue: je prends le texte de Husserl comme un testament, non comme un programme. En 1936, lorsque Husserl écrit la Krisis, le régime anti-sémite nazi est déjà au pouvoir et Husserl a été chassé de l’Université, la catastrophe a déjà commencé. Je prends le « programme » de Husserl comme un essai de faire passer quelque chose à travers la catastrophe, un message que nous avons à recevoir. Je n’oublie pas que j’avais promis à Christian de répondre aux questions qu’il posait en commentaire à l’un de ces billets mais je ne suis pas sûr de comprendre assez Husserl pour m’y risquer aujourd’hui, j’y travaille.]
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"J'ai des promotions importantes, 300 élèves, qui n'ont pas tous vocation à devenir physiciens, d'ailleurs de moins en moins veulent devenir physiciens, ils vont plutôt vers la technique, le management, etc., mais je pense qu'un ingénieur en 2005 doit connaître des rudiments de relativité, de mécanique quantique également. Ce sont des populations de jeunes avec lesquelles on a du mal à plaquer un formalisme au tableau pendant 3 heures, les amphithéâtres sont de plus en plus difficiles à tenir.
…
Il y a des cours que je donnais il y a 15 ans que je ne peux plus donner parce que l'attention des élèves est plus aléatoire, ils ne sont pas tous intéressés. Donc si je commence par écrire les transformations de Lorenz en dévoilant leurs conséquences ultimes, je perds rapidement la moitié de l'amphi. Il faut trouver des ruses, on peut par exemple jouer sur les paradoxes, commencer par le paradoxe des jumeaux de Langevin et montrer qu'il a une explication parfaitement dans le cadre de la relativité restreinte et que l'idéal du temps newtonien, finalement, est un idéal qu'on peut discuter, on peut aussi montrer que la relativité a des conséquences philosophiques négatives (…) et que ça remet en cause des choses que les étudiants croyaient fermement, on peut aussi faire un peu d'histoire…"
(Etienne Klein sur Science-Frictions (p) l'autre samedi, à propos de ses promotions de l'Ecole Centrale)
La veille (le 22), le directeur de l'enseignement supérieur, Jean-Marc Monteil, était à Nice pour signer le contrat de l'Université de Nice Sophia-Antipolis et pour inaugurer par une conférence la célébration du 40e anniversaire de notre université. Cette conférence (en ligne sur le site de l'UNSA), qui abordait la question de la désaffection des sciences, était donnée sans notes et témoignait d'une pensée vigoureuse et structurée. J'ai regretté cependant que lorsqu'il s'est agi d'illustrer l'intérêt de la science, les deux exemples qui ont été pris l'ont été dans le domaine de la technologie: le téléphone cellulaire qui me permet de converser en temps réel avec un interlocuteur outre-atlantique et le pont de Millau, et non du côté de ce qui fait la spécificité de l'activité scientifique, la libido sciendi ou le plaisir que donne l'exercice de la pensée dans la stricte discipline de la science. Est-ce le meilleur moyen de plaider pour la science que de la soumettre à une finalité extérieure? Il me semble que si l'on dit aux lycéens suceptibles de faire des études scientifiques et de la recherche que la science est bonne en raison de ses retombées technologiques et économiques, la conclusion qu'ils risquent d'en tirer est qu'il vaut mieux devenir ingénieur voire s'orienter vers des études de gestion et de marketing. C'est d'ailleurs, si j'en crois ce qui se dit, ce qu'ils font de plus en plus. (A quoi il faut ajouter que le développement technologique n'est peut-être plus, pour les générations lycéennes, une fin en soi et que ce qui se métonymisait électricité, supersonique et informatique a tendance à se métonymiser aujourd'hui nucléaire, OGM et clonage humain.)
Voir aussi: Comment mieux enseigner les mathématiques (je viens de corriger le lien vers le rapport cité).
Encore une émission remarquable chez Abdelwahab Meddeb. Dimanche il recevait George Saliba, professeur à Columbia University, pour une point sur l’astronomie dans la culture islamique (j’aime particulièrement la façon dont Meddeb dit ça: « le temps arabe de l’astronomie » – avec cette précision que « arabe » désigne ici la langue de culture dominante et non l’ethnie). En gros, les savants arabo-musulmans ont complété l’édifice ptolémaïque, y compris en en critiquant les points faibles, en utilisant de nouveaux outils mathématiques inconnus des Grecs (il me semble de plus en plus évident que l’apport essentiel et original des arabo-musulmans à la science, ie à la civilisation, est mathématique). Si le pas képlerien n’a pas été fait (George Saliba montre que la « révolution copernicienne » est plus du domaine des représentations que purement scientifique: le décentrement de la terre est chez Copernic une réorganisation des données aristotélo-ptolémaïques), le corpus a été prêt pour Galilée-Kepler-Newton, avec sa mathématique et l’indication des points faibles (ainsi cette critique de la notion aristotélicienne d’éther comme substance simple et pourtant porteuse d’étoiles).
Autre point important évoqué dans l’émission: l’histoire de l’astronomie arabo-musulmane infirme les deux thèses invoquées pour expliquer la décadence musulmane: ni la synthèse « fermante » de Ghazali, ni la prise mongole de Bagdad en 1258 n’ont arrêté le progrès de la science astronomique.
En complément, un échange, entre 1999 & 2002, entre George Saliba (Columbia University) et Toby E. Huff (Cambridge) à propos du compte-rendu par GS du livre de TEH: Seeking the Origins of Modern Science? (1993), dans le Bulletin of the Royal Institute for Inter-Faith Studies, articles consultables en ligne sur le site du Royal Institute for Inter-Faith Studies (Jordanie).
L’échange est mis également en ligne sur le site de l’intéressante famille égypto-canadienne, les Baheyeldin.
Par ailleurs, sur le site de George Saliba à CU, une étude de ce dernier sur la transmission des idées mathématiques et astronomiques du monde islamique à l’Europe renaissante pendant la fin du 15e et le 16e siècle: « Whose Science is Arabic Science in Renaissance Europe? »
L’histoire de l’Inde musulmane commence un millénaire avant l’Hégire, ou plutôt :
qui voudrait faire l’histoire de l’Inde musulmane devrait commencer par faire état d’un évènement antérieur d’un millénaire à l’Hégire de Muhammad : l’expédition d’Alexandre, les conquêtes d’Alexandre (ce qui se dit en arabe al-futuhât, « les ouvertures ») ont eu des conséquences politiques (historiques) beaucoup plus palpables, décisives, à l’ouest, dans le bassin méditerranééen, qu’à l’est. Cependant le dessin qu’elles ont fait semble nous parler de réalités plus lentes, plus fondamentales et plus persistantes.
[oct. 2006: aujourd’hui je ne dirais plus que les conséquences des « ouvertures » d’Alexandre ont été beaucoup plus décisives à l’ouest qu’elles ne furent à l’est. Il y avait alors sans doute une sous-estimation de ma part de l’influence qu’eurent les royaumes grecs orientaux, plus difficile à estimer que la réorganisation du monde hellénistique méditerranéen. Il suffirait peut-être de se dire que la figuration du Bouddha, jusqu’au bout oriental du monde, est d’origine grecque.]
Arrivée sur la cinquième rivière du Penjab, l’armée refuse de continuer. Alexandre doit céder (selon ses historiens, il aurait voulu continuer, conquérir la plaine gangétique).
Interpréter les versets 90 & 91 de la sourate Al-Kahf comme une allusion à l’Eden. Les gymnosophistes au bout extrême semblent indemne de la faute adamique et omniscients (Paul Faure pp. 380-81).
Géographie alexandrine : l’Inde comme le coin sud-est du monde. Projet de compléter la conquête du monde par sa partie sud-ouest.
Voir dans Arrien (V, 25-27) le discours d’A. et la réponse de Coenos.
Alexandre-Hercule : Hercule est le héros qui purge la terre de sa monstruosité, qui ouvre un espace à l’humanité. Consciemment A. répète le geste d’Hercule et le monument qu’il laisse à l’extrémité de son parcours célèbre Hercule (ou plus exactement Alexandre-Hercule) plutôt que Dionysos. De ce point de vue, on peut considérer les fables indiennes, les descriptions de monstres et des prodiges qui accompagnent la littérature sur l’Inde pendant des siècles suivant la geste alexandrine, jusqu’à Christophe Colomb, pratiquement, jusqu’aux « Grandes Découvertes », comme l’attestation d’un monde que n’a pas atteint la purgation herculéenne.
Dans le cas d’Alexandre, on peut se demander s’il n’y a pas une opération métaphysique, la purgation s’identifiant au savoir, au savoir encyclopédique tel qu’il se constitue à la suite d’Aristote.
On trouve sur des cartes chrétiennes du haut MA (et plus tard encore, jusqu’à Colomb), l’Eden placé précisément là où sa seconde « corde » conduit Alexandre-Dhul’Qarnayn. Et l’association de la transgression et de la nudité (plus exactement de la fin de celle-ci) est attestée dans les sourates où il est question de l’arbre et de la faute d’Adam. Par ailleurs la précédente « corde », amenant Alexandre d’abord sur l’extrémité occidentale du monde l’y fait trouver la source d’immortalité qui elle aussi ne peut que nous rappeler la faute d’Adam (et l’on verra comment chez Colomb, pour qui, comme pour Al-Biruni, le monde est rond, les deux localisations, celle de l’extrême-occident et celle de l’extrême-orient, se confondent).