Volonté et attention (Simone Weil)

La volonté, celle qui au besoin fait serrer les dents et supporter la souffrance, est l’arme principale de l’apprenti dans le travail manuel. Mais contrairement à ce que l’on croit d’ordinaire, elle n’a presque aucune place dans l’étude. L’intelligence ne peut être menée que par le désir. Pour qu’il y ait désir, il faut qu’il y ait plaisir et joie. L’intelligence ne grandit et ne porte de fruits que dans la joie. La joie d’apprendre est aussi indispensable aux études que la respiration aux coureurs. Là où elle est absente, il n’y a pas d’étudiants, mais de pauvres caricatures d’apprentis qui au bout de leur apprentissage n’auront même pas de métier.

(Simone Weil, Attente de Dieu, 1942)

D’autres extraits après le saut (voir aussi Découvertes tardives sur mon autre blogue).
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Dans le cabinet d’un homme de lettres (fragment de journal)

Dans le cabinet d’un homme de lettres: pratiques lettrées dans l’Égypte byzantine, d’après le dossier de Dioscore d’Aphrodite / Jean-Luc Fournet (in: Jacob, Christian (dir.). Des Alexandries II. Paris: Bibliothèque nationale de France, 2003.)

Lundi 28 avril

J’ai fini l’article jeudi ou vendredi. J’en retiens le positionnement de la littérature classique: pratique de la littérature (sur un corpus extrêmement restreint – à se demander si le fonds trouvé est vraiment représentatif de ce qu’était la bibliothèque du lettré en général et de Dioscore en particulier) en liaison étroite avec la pratique pédagogique d’un côté et la pratique « documentaire » (notariale et juridique) de l’autre.

p. 85: Voilà qui dénote une société imbue de culture, dans laquelle l’action administrative, politique ou même privée ne se conçoit pas sans les belles-lettres et particulièrement la poésie, mode d’expression idéalisé. Cela traduit, en même temps, selon une tendance qui n’est pas propre à l’époque byzantine mais se renforce alors, une conception fonctionnaliste de la culture littéraire, qui est récupérée, instrumentalisée à tous les niveaux (le maître d’école, le lecteur dans sa bibliothèque, le poète-rhéteur ou le notaire-fonctionnaire) et qui, aux antipodes du ludisme ou de la gratuité artistiques, est au service de l’action publique ou privée.

Voir la fin de l’article qui fait bien la synthèse des enjeux théoriques. Parle en particulier de « littérarisation » du document (« document » est à prendre au sens de document administratif, etc., opposé à « texte »(littéraire)): inclusion d’éléments de culture littéraire, par le lexique, voire emploi de formes homériques archaïques, dans le document, pétition en particulier, et de « documentarisation » de la littérature: par exemple envoi de poèmes joints à des pétitions.

p. 68: On voit qu’une bibliothèque antique n’est pas forcément un lieu de délicates jouissances littéraires ou intellectuelles, mais le conservatoire d’ouvrages de référence destinés à servir.

(voir aussi)

éthopées

Une chose qui me fait songer en passant: Fournet voit dans la composition, sous forme de courts poèmes, d’éthopées autour d’Achille, l’attestation que Dioscore a exercé une activité de grammatikos et de la proximité entre la fonction pédagogique et la fonction littéraire. L’éthopée est un exercice rhétorique, scolaire, un progymnasmaton où l’on imagine les paroles d’un personnage dans une situation particulière de manière à exprimer le caractère propre dudit personnage (« Quelles paroles prononcerait Achille mourant par la faute de Polyxène? »). Il y a chez Proust (retrouver où) le reflet de tels exercices dans l’enseignement secondaire à la fin du 19e s. (et on en trouverait sans doute des attestations beaucoup plus récentes). L’éthopée empruntera alors ses personnages plus volontiers au théâtre français classique (« Imaginez les paroles de Phèdre…? » – retrouver l’exemple proustien). Ce qui me frappe, c’est d’une part l’ancienneté de l’exercice (mais attention, la pratique ne s’est pas continuée sans interruption depuis l’Antiquité grecque, sa reprise est sans doute un des éléments de ce phénomène extraordinaire qu’a été la Renaissance, phénomène dont Henri-Jean Martin disait jadis à son séminaire qu’il résistait à la compréhension, compréhension dont les conditions semblent s’éloigner de nous chaque jour un peu plus), je ne sais pas trop s’il faut voir dans la comparaison Achille vs. Ulysse de l’Hippias mineur (à vérifier) soit l’un des plus anciens dialogues de Platon, l’attestation de tels progymnasmata ou la préhistoire de ceux-ci (faudrait revoir dans Marrou), l’ancienneté de l’exercice, donc, et d’autre part combien aujourd’hui il est radicalement étranger à notre conception de l’éducation, combien rapidement il est devenu exotique.

Ponchettes

Et je pense aux filets des Ponchettes. Pendant toute mon enfance, le rivage des Ponchettes, au bout de la Promenade des Anglais, sous la colline du Château, était couvert de barques et de filets de pêche, étalés sur les embanquements pour être inspectés et ravaudés par les pêcheurs, retour de leur sortie matinale. Jusqu’au 19e siècle, Nice n’avait pas d’autre port que ce bout de plage, entre l’embouchure du Paillon et les « petites pointes » que faisait l’avancée du rocher sur la mer. Ainsi pendant plus de 2 millénaires, depuis que des Grecs Massaliotes s’établirent ici, au 6e siècle avant l’ère commune, des barques étaient hélées sur ce rivage et des filets étalés sur ses embanquements et cela cessa avec mon enfance, dans les années 60. (Ecrit de ma chambre d’hôtel, qui ne donne pas vers le Vieux Port, pour une fois, mais sur la rue Sainte, et la Bonne Mère veille, de derrière un coin d’immeuble, sur mon lit, illuminée comme une chasse.)

Les controverses françaises sur l’école: la schizophrénie républicaine / Michel Fabre

EF Vol. 30:1:03:

ce n’est pas en se bornant à célébrer la valeur inestimable du patrimoine culturel, ni du reste en se livrant aux incantations d’une pédagogie des motivations, que l’on redonnera sens au savoir scolaire. En lieu et place d’un tel travail épistémologique qui se poursuit d’ailleurs au sein des sciences de l’éducation, la rhétorique républicaine dénonce tout allègement des programmes scolaires avec les mots de l’avare protégeant sa cassette. Mais à quoi bon dénoncer le savoir marchandise du libéralisme si c’est pour en faire un trésor ? N’est-ce pas le fétichiser d’une autre manière ? Bachelard (1970) dénonçait déjà cette « âme professorale » toute fière de son dogmatisme et crispée sur ses titres de propriété chèrement acquis par « les succès scolaires de sa jeunesse ».

(En complément d’un billet sur « Cerca blogue! ». Extraits après le saut.)

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Claudel sur l’innovation en science et en pédagogie

Une (longue) citation volée à Jean-François Vincent dans les commentaires du Figoblog (faut aller voir le contexte, c’est savoureux, du moins pour les bibliothécaires):

On ne peut pas rester éternellement confit dans la même confiture!
(…)
Du nouveau, mais qui soit la suite légitime de notre passé. Du nouveau et non pas de l’étranger. Du nouveau qui soit le développement de notre site naturel.
Du nouveau encore un coup, mais qui soit exactement semblable à l’ancien!

(Claudel. Le Soulier de satin, Troisième journée scène II.)

La citation complète après le saut…

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