Simone Weil, quelques citations politiques

La civilisation européenne est une combinaison de l’esprit d’Orient avec son contraire, combinaison dans laquelle l’esprit d’Orient doit entrer dans une proportion assez considérable. Cette proportion est loin d’être réalisée aujourd’hui. Nous avons besoin d’une injection d’esprit oriental.

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« Nation » chez Littré

Dictionnaire de la langue française d’Emile Littré (1872-1877), article « nation »:

1°- Réunion d’hommes habitant un même territoire, soumis ou non à un même gouvernement, ayant depuis longtemps des intérêts assez communs pour qu’on les regarde comme appartenant à la même race.

(Les 8 premiers exemples donnés sont tirés de Bossuet.)

La grande nation, nom donné d’abord à la France républicaine, et dont l’empereur Napoléon 1er se servit pour désigner après ses victoires la nation française.

6°- Dans l’ancienne université de Paris, nom donné à certaines provinces qui la composaient. L’université était formée de quatre nations, qui avaient leurs titres particuliers : l’honorable nation de France, la fidèle nation de Picardie, la vénérable nation de Normandie, la constante nation de Germanie ; c’étaient les procureurs de ces nations, avec les doyens des trois facultés supérieures, qui formaient le tribunal du recteur.

8°- Collége des quatre nations, collége fondé par Mazarin, pour recevoir les élèves appartenant aux provinces espagnoles, italiennes, allemandes et flamandes nouvellement réunies à la France.

Nation dans l’ancienne langue signifiait aussi, comme en latin, naissance, nature.

L’Ancien Régime & la Révolution / A. de Tocqueville (1856)

Continuité

Les Français ont fait en 1789 le plus grand effort auquel se soit jamais livré aucun peuple, afin de couper pour ainsi dire en deux leur destinée, et de séparer par un abîme ce qu’ils avaient été jusque-là de ce qu’ils voulaient être désormais. Dans ce but, ils ont pris toutes sortes de précautions pour ne rien emporter du passé dans leur condition nouvelle; ils se sont imposé toutes sortes de contraintes pour se façonner autrement que leurs pères; ils n’ont rien oublié enfin pour se rendre méconnaissables.

J’avais toujours pensé qu’ils avaient beaucoup moins réussi dans cette singulière entreprise qu’on ne l’avait cru au dehors et qu’ils ne l’avaient cru d’abord eux-mêmes. J’étais convaincu qu’à leur insu ils avaient retenu de l’ancien régime la plupart des sentiments, des habitudes, des idées mêmes à l’aide desquelles ils avaient conduit la Révolution qui le détruisit et que, sans le vouloir, ils s’étaient servis de ses débris pour construire l’édifice de la société nouvelle; de telle sorte que, pour bien comprendre et la Révolution et son oeuvre, il fallait oublier un moment la France que nous voyons, et aller interroger dans son tombeau la France qui n’est plus. (pp. 43-44)

Noblesse

Les nobles méprisaient fort l’administration proprement dite, quoiqu’ils s’adressassent de temps en temps à elle. Ils gardaient jusque dans l’abandon de leur ancien pouvoir quelque chose de cet orgueil de leurs pères, aussi ennemi de la servitude que de la règle. Ils ne se préoccupaient guère de la liberté générale des citoyens, et souffraient volontiers que la main du pouvoir s’appesantît tout autour d’eux; mais ils n’entendaient pas qu’elle pesât sur eux-mêmes, et pour l’obtenir ils étaient prêts à se jeter au besoin dans de grands hasards. Au moment où la Révolution commence, cette noblesse, qui va tomber avec le trône, a encore vis-à-vis du roi, et surtout de ses agents, une attitude infiniment plus haute et un langage plus libre que le tiers état, qui bientôt renversera la royauté. Presque toutes les garanties contre les abus du pouvoir que nous avons possédées durant les trente-sept ans du régime représentatif sont hautement revendiquées par elle. On sent, en lisant ses cahiers, au milieu de ses préjugés et de ses travers, l’esprit et quelques-unes des grandes qualités de l’aristocratie. Il faudra regretter toujours qu’au lieu de plier cette noblesse sous l’empire des lois, on l’ait abattue et déracinée. En agissant ainsi, on a ôté à la nation une portion nécessaire de sa substance et fait à la liberté une blessure qui ne se guérira jamais. Une classe qui a marché pendant des siècles la première a contracté, dans ce long usage incontesté de la grandeur, une certaine fierté de coeur, une confiance naturelle en ses forces, une habitude d’être regardée qui fait d’elle le point le plus résistant du corps social. (pp. 193-194)

Baubérot 2: la France condamnée par l’Europe

Jean Baubérot remarque très justement que les nouvelles des condamnations de la France à la Cour Européenne des Droits de l’Homme rencontrent peu d’échos dans les médias ni d’intérêt dans le milieu intellectuel.Je ne crois pas me souvenir en avoir entendu grand chose même pendant la campagne du référendum de l’année dernière. Les exemples que j’ai collectés sur son blogue mériteraient pourtant chacun son exégèse particulière: le premier soulèverait sans doute une indignation approbatrice, le second une approbation peut-être un peu plus hypocrite, quant au troisième il soulèvera chez beaucoup (s’agissant des sectes et de l’Eglise de Scientologie) une indignation fortement réprobatrice. J’aimerais entendre le point de vue de… disons Max Gallo sur ces affaires et sur la supra-compétence de la Cour Européenne.

Jean Baubérot : L’EUROPE QUE L’ON AIME…

les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont condamné à l’unanimité la France pour n’avoir pas considéré comme de l’esclavage moderne le fait qu’une jeune Togolaise, Siwa-Akofa Siliadin, a été employée (et pas aux trente cinq heures !) sans aucune rémunération de 1994 à 1998.

Jean Baubérot : LA « LIBERTE D’EXPRESSION » ET SES MULTIPLES FACETTES

J’ai trouvé l’information dans Le Monde (2 février 2006) : Paul Giniewski avait publié une réponse à l’encyclique « Splendeur de la vérité ». Il y écrivait : « De nombreux chrétiens ont reconnu que l’antijudaïsme des Ecritures chrétiennes et la doctrine de l’ « accomplissement » de l’Ancienne Alliance par la Nouvelle conduisent à l’antisémitisme et ont formé le terrain où ont germé l’idée et l’accomplissement d’Auschwitz ». Poursuivi par l’association « Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne » (des gens qui considèrent que l’identité française est avant tout chrétienne) pour « diffamation raciale envers la communauté chrétienne », M. Giniewski s’est vu condamné en première instance, puis en cour d’appel, la condamnation étant confirmée par la Cour de cassation.

Jean Baubérot : NOUVELLES : GAMBETTA GUILLOTINE ET LA FRANCE CONDAMNEE

la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, à l’unanimité (donc avec « opinion concordante » du juge français Jean-Paul Costa) pour avoir condamné Christian Paturel (et son éditeur), auteur de Sectes, religions et libertés publiques où il polémiquait avec l’association antisecte UNADFI. La Cour européenne a estimé que la liberté d’expression avait été bafouée.

La non-affaire Bozonnet (remarques)

Quelques remarques en complément du billet sur « Cerca blogue! »:

– dans mon billet Bozonnet précédent, je disais que la décision du ministre devrait ouvrir les yeux de ceux qui voyaient dans la décision de MB un acte de l’establishment chiraquien. En l’écrivant je me suis dit que c’était leur supposer un peu naïvement de l’honnèteté intellectuelle. Les billets cités ci-dessus confirment ma naïveté. « Larbinage« , alors que c’est pour défaut de larbinage que Bozonnet a été puni: un bon larbin aurait compris qu’une décision à conséquences politiques comme la déprogrammation, même si dans le périmètre de ses missions, il ne pouvait la prendre qu’avec l’autorisation de son maître.

– dans l’un ou l’autre des billets cités (commentaire chez Assouline), on envoie un missile de sarcasme en frappe préventive sur une pétition de soutien à Bozonnet, pour l’instant inexistante (voir début du billet – mais on peut toujours aller signer le texte d’Olivier Py: « Le droit de dire non », je pense), sans doute parce qu’on lui soupçonne une légitimité.

– réécouter le débat du 14 juillet avignonais diffusé en début de cet après-midi sur France-Culture (pas facile de retrouver le fichier audio; le débat est ici, avant la lecture d’Elfriede Jelinek) où Marcel Bozonnet s’explique simplement et où Georges Banu dit des choses centrales depuis son expérience de Roumain, d’ex-sujet de Ceaucescu (en passant si on a beaucoup parlé du soutien d’Elfriede Jelinek à Handke, il a été moins remarqué que MB bénéficie du soutien du prix Nobel chinois Gao Xingjian, qui lui aussi en sait un bout sur les régimes dits socialistes). Jean-Pierre Vincent compare le poids de la responsabilité de l’administrateur de la Comédie Française à celui de l’hôte de Matignon (et je me dis in petto qu’on passe à l’hôte de Matignon des conneries autrement lourdes).

– l’autre soir, comme j’apprenais à C. le limogeage de Bozonnet, il me demandait avec incrédulité: « Mais pourquoi? ». Son étonnement témoigne selon moi de la méconnaissance (générale et non personnelle) de deux réalités:
* la réalité de la position de la diplomatie française sur les Balkans: les pro-serbes ont raison de dire que la France s’est alignée sur la position européo-américaine pour des raisons de real-politik et non en conviction et sous la pression des faits. Une grande partie, peut-être la majeure partie, de l’establishment diplomatique, politique et culturel (dans l’ordre décroissant) est restée pro-serbe (au sens de pro-Milosevic).
* la réalité du fonctionnement de l’Etat français (voir plus haut).

– enfin, je découvre un billet ancien et pertinent sur l’affaire Handke / Bozonnet sur un blogue qui globalement défend des idées fort éloignées des miennes. (A y regarder de plus près, je me rends compte que le blogue en question est alimenté par plusieurs auteurs dont certains n’ont pas grand chose à envier aux auteurs du blogue cité en début de billet. L’auteur du billet sur Bozonnet utilise le pseudo Letel, s’il avait un fil RSS propre, je le mettrais dans mes signets Sage).

Fichte, Benny Levy et Getschel Bloch

En écho avec la première citation faite ici me revient ce passage des entretiens AF / BL:

Benny Lévy:

"Fichte l'universaliste veut, comme Mirabeau, "que tous les hommes soient hommes" mais constate que certains hommes, les Juifs, résistent à l'idéal en s'excluant "par le lien le plus fort qu'il y ait dans l'humanité, la religion, de nos banquets, de nos plaisirs, de ce doux échanges de gaieté des coeurs entre eux", et répond à leur separatisme par cette sinistre boutade: "Mais quant à donner aux Juifs des droits civils, je n'en vois pour ma part aucun autre moyen que de leur couper la tête à tous une belle nuit et d'en mettre à la place une autre où il n'y ait plus aucune idée juive." (p. 100)

Au début de l'Etrange défaite, Etienne Bloch, fils de Marc, met en note la traduction (faite en 1941!) d'une lettre en yiddish de l'arrière-grand-père de Marc Bloch, Getschel, "fils de Wolf Bloch", soldat des armées de la République. La lettre est datée de Mayence juin 1793 (mois de Tamuz de l'an 5554). C'est un document précieux et émouvant qui fait revivre un bloc inattendu du passé. Ce qui m'a frappé à première lecture, c'est combien le nom de Dieu rythme le déroulement de l'expression d'une manière qu'on ne retrouverait guère aujourd'hui que chez un musulman. Cette judéité patente n'empêche en rien l'engagement républicain.

Extrait:

"Nous avons été les premiers – les Volontaires, et les Allemands ont ouvert le feu sur nous. (…) Je pense que c'est grâce à vos bonnes actions et à celles de nos ancêtres que nous avons pu y échapper. (…) Je dois vous faire savoir que dans deux villages la population nous a offert de la bière et du pain. Nous n'avons pas pu nous arrêter, car nous avons attaqué avec impétuosité les hauteurs de Mayence. Je n'aurais pas souhaité vous y voir. Et Dieu, que Son Nom soit loué, nous a dirigé sur la bonne voie. Qu'il veuille toujours protéger les Juifs contre tout malheur."

Je sais bien que comparaison n'est pas raison, et que "ce n'est pas pareil", mais je ne peux m'empêcher de penser qu'il y a pas mal de nos laïcs qui seraient séduits à l'idée de couper, une belle nuit, la tête de tous nos musulmans et d'y mettre à la place une autre où il n'y ait plus aucune idée musulmane.

L’Etrange défaite / Marc Bloch

(in: L'Histoire, la Guerre, la Résistance.– Quarto, Gallimard, 2006. p. 549)Un trait, entre tous décisif, oppose la civilisation contemporaine à celles qui l'ont précédée: depuis le début du XXe siècle, la notion de distance a radicalement changé de valeur. La métamorphose s'est produite, à peu près, dans l'espace d'une génération et, si rapide qu'elle ait été, elle s'est trop bien inscrite, progressivement, dans nos moeurs, pour que l'habitude n'ait pas réussi à en masquer, quelque peu, le caractère révolutionnaire. (…) Les Allemands ont fait une guerre d'aujourd'hui, sous le signe de la vitesse. Nous n'avons pas seulement tenté de faire, pour notre part, une guerre de la veille ou de l'avant-veille. Au moment même où nous voyions les Allemands mener la leur, nous n'avons pas su ou pas voulu en comprendre le rythme, accordé aux vibrations accélérés d'une ère nouvelle.

Marc Bloch cite en note Les Routes et le Trafic commercial dans l'Empire romain / Charlesworth: "Les hommes doivent aujourd'hui prendre leurs résolutions avec une promptitude qui eût stupéfié nos aïeux."

plus loin (p. 631):

La curiosité manquait à ceux-là mêmes qui auraient été en position de la satisfaire. Comparez ces deux journaux quasi homonymes: The Times et Le Temps. Les intérêts, dont ils suivent, l'un et l'autre, les ordres, sont de nature semblable; leurs publics, des deux côtés, aussi éloignés des masses populaires; leur impartialité, également suspecte. Qui lit le premier, cependant, en saura toujours, sur le monde, tel qu'il est, infiniment plus que les abonnés du second. (…) La misère de nos bibliothèques municipales a été maintes fois dénoncée. (…) On m'a raconté que, dans une commission internationale, notre délégué se fit moquer, un jour, par celui de la Pologne: de presque toutes les nations, nous étions les seuls à ne pas pouvoir produire une statistique sérieuse des salaires. Nos chefs d'entreprises ont toujours mis leur foi dans le secret, favorable aux menus intérêts privés, plutôt que dans la claire connaissance, qui aide l'action collective. Au siècle de la chimie, ils ont conservé une mentalité d'alchimistes. (…) Le pis est que cette paresse de savoir entraîne, presque nécessairement, à une funeste complaisance envers soi-même. J'entends, chaque jour, prêcher par la radio, le "retour à la terre". (…) Ces bucoliques avis, pourtant, ne sont pas exclusivement choses d'aujourd'hui. Toute une littérature de renoncement, bien avant la guerre, nous les avait rendus déjà familiers. Elle stigmatisait l'"américanisme". Elle dénonçait les dangers de la machine et du progrès. Elle vantait, par contraste, la paisible douceur de nos campagnes, la gentillesse de notre civilisation de petites villes, l'amabilité en même temps que la force secrète d'une société qu'elle invitait à demeurer de plus en plus résolument fidèle aux genres de vie du passé. (…) Or, ayons le courage de nous l'avouer, ce qui vient d'être vaincu en nous, c'est précisément notre chère petite ville. Ses journées au rythme trop lent, la lenteur de ses autobus, ses administrations somnolentes, les pertes de temps que multiplie à chaque pas un mol laisser-aller, l'oisiveté de ses cafés de garnison, ses politicailleries à courtes vues, son artisanat de gagne-petit, ses bibliothèques aux rayons veufs de livres, son goût du déjà vu et sa méfiance envers toute surprise capable de troubler ses douillettes habitudes… (…) Nous serons perdus, si nous nous replions sur nous-mêmes; sauvés, seulement, à condition de travailler durement de nos cerveaux, pour mieux savoir et imaginer plus vite.