Sartre sur Proust (Antoine Compagnon)

Antoine Compagnon, « Proust et moi », 1992:

Le Degré zéro date de 1953. On ne répétera jamais assez que ce livre doit s’entendre comme une réplique au Qu’est-ce que la littérature ? de Sartre, publié dans Les Temps modernes en 1947. Sartre n’aimait pas Proust, ou du moins il lui en voulait du dénouement tout proustien qu’il avait donné à La Nausée, où Roquentin découvrait une rédemption possible dans l’art. Dans la « Présentation des Temps modernes » [1948], Proust était le seul écrivain dont il était question un peu longuement, dans une attaque en règle contre celui en qui Sartre voyait le comble de l’irresponsabilité bourgeoise : «Pédéraste, Proust a cru pouvoir s’aider de son expérience homosexuelle lorsqu’il a voulu dépeindre l’amour de Swann pour Odette ; bourgeois, il présente ce sentiment d’un bourgeois riche et oisif pour une femme entretenue comme le prototype de l’amour : c’est donc qu’il croit à l’existence de passions universelles […]. Proust s’est choisi bourgeois, il s’est fait le complice de la propagande bourgeoise, puisque son œuvre contribue à répandre le mythe de la nature humaine. »
Pour Sartre, Proust est alors l’ennemi absolu, le summum de l’« esprit d’analyse » servant au maintien des privilèges de classe.

Jean-François Revel et Jean-Paul Sartre

Le billet récent de Jacopo signale ce site où est ouvert une sorte de livre d'or en hommage à Jean-François Revel décédé dimanche matin. Commentaire au billet d'Atelier de lecture: Je n'ai jamais vraiment lu Jean-François Revel, c'est sans doute dommage: mon père le lisait et me le conseillait au début des années 70 et ce n'était pas le bon moment! Quant à Sartre, il y a eu une série d'émissions hommage sur France-Culture il y a quelques mois et j'ai éprouvé alors quelque chose comme de la répulsion. L'authenticité, le garçon de café, tout ça… J'ai failli en faire alors un billet mais je ne l'ai pas fait: d'abord parce que la répulsion n'est pas un sentiment très agréable, ensuite parce que je me suis demandé si cette mienne répulsion ne devait pas beaucoup à une impression d'être ramené si intimement à l'adolescence tant il était patent que l'atmosphère intellectuelle, au moins telle que je la respirais, restait encore à la fin des années 60 saturée par la pensée (par les attitudes de pensée) sartrienne. Et puis, mélange de crainte et de révérence, de quel droit, me suis-je demandé, irais-tu médire d'un penseur aussi respecté? Je ne suis pas sûr qu'aujourd'hui Sartre soit beaucoup plus lu et beaucoup plus influent qu'Aron ou que Revel. Comment alors expliquer la différence de reconnaissance (à en juger par les émissions de France-Cul, pour faire bref) que CJ signale? Crainte et révérence: n'y a-t-il pas là quelque chose qui est de l'ordre du religieux, une sorte de culte des saints laïcs?

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PS.  Le billet de CJ lié ici n'existe plus.