On n’a jamais à ma connaissance marqué ce fait, ou plus exactement tiré les conséquences de ce fait que l’extrême orient s’appelait « les Indes ». On en rend généralement compte par des considérations sur la cartographie du monde, sur la façon dont les contemporains de Colomb se faisaient une image de la forme du monde terrestre, avec cette péninsule indienne pointant vers l’est, ou que sais-je ? Mais les gens du quattrocento ne vivaient pas dans la familiarité des cartes qui est aujourd’hui la nôtre (même s’ils étaient précisément en train de fabriquer cette familiarité). Le sens de cette appellation n’est pas à chercher dans l’ordre de la géographie physique mais dans l’ordre de la conception du monde comme lieu d’une histoire (d’une histoire historiale, diraient les corbiniens), dans l’ordre de la géographie humaine si l’on veut. Pour le dire vite : les Indes sont la frontière orientale du monothéisme, l’Amérique, Indes occidentales, en sera la frontière du côté du couchant. L’appellation des terres découvertes, c’est-à-dire selon la confusion de l’époque, l’appellation de l’extrême-orient, montre la prégnance de la vision, du point de vue musulman sur le monde. L’oikoumené du quattrocento intègre le monde musulman (c’est-à-dire le monde iranien – tout ceci est à comprendre en profondeur à la lumière du fait que l’Inde a été la frontière de l’entreprise d’Alexandre). Et j’imagine les Indiens, ceux d’Amérique, qu’ils ont été en face des puritains comme les Hindouistes en face des musulmans. Et il reste quelque chose de ça aujourd’hui. Ils ont l’identité de parenthèses.