in J. Goody, Entre l’oralité et l’écriture (Presses Universitaires de France – PUF, 1994).
Goody examine l’objection possible à ses thèses qui pourrait être tirée de l’exemple de la transmission purement orale et néanmoins exacte des textes sacrés dans la tradition hindoue. La « littérature orale » hindoue présente des traits qui, pour Goody, dépendent d’une culture « lettrée », disposant et utilisant l’écriture. Il répond à l’objection en distinguant transmission et composition: si les Vedas sont bien transmis oralement, leur composition, dans la forme transmise, a vraisemblablement été écrite.
il est évident que la transmission écrite est par un côté plus facile que l’orale: l’élève n’a pas besoin de la présence physique d’un maître pour lui inculquer le savoir ni pour apporter les corrections nécessaires à une reproduction exacte; il peut le faire lui-même. L’écriture permet l’apparition de l’autodidacte et rend l’acquisition de l’information potentiellement moins personnelle, moins « intensive ». (p. 125)
La remarque est particulièrement vraie pour l’apprentissage par coeur. Serait intéressant de la relier au cas de l’autodidactisme protestant et de sa tendance au littéralisme. Vrai aussi pour l’islam: c’est la généralisation de l’accès direct et non encadré au texte qui permet le fondamentalisme.
On ne peut guère douter que Pânini se servit de l’écriture pour parvenir à formuler les « règles » de la grammaire. Néanmoins un élève commençait son instruction en apprenant par coeur les sûtras qui ne lui étaient expliquées que plus tard: le procédé n’est pas inhabituel dans des formes de l’enseignement islamique et, de façon moins évidente, dans la nôtre [sic]. Selon Oliver, un bon grammairien apprenait et apprend encore les ouvrages classiques de base « par coeur », directement d’un maître sans se servir d’un manuscrit ni d’un livre » (p.61). Un livre existait cependant auquel on pouvait se référer en cas de besoin. (p. 127)
comme je l’ai par la suite envisagé à propos de l’étude intéressante de Frances Yates sur la mémoire (1966), l’élaboration de certaines techniques importantes pour retenir par coeur le discours semble presque exiger la réduction préalable de la langue à une forme visuelle, apportant à la parole une dimension spatiale (chap. 8).