Le monde est fait de mots. Le souci des mots, de l’arrangement des mots & de la rectitude des noms, pour que le monde soit vivable, habitable.
La réalité est à notre image, toute habillée de mots, voilée, décorée, civilisée, policée. Mais la nue, la réelle, cette chose qui est, celle qui peut donner aux mots à quoi adhérer & de quoi prendre des formes, celle-là est hors mots. Al-Haqq.
Nous sommes à l’image de la réalité. Nus, nous sommes à l’image d’al-Haqq, du dateur de formes & de formable.
Nous aussi, alors, nous le sommes.
L’erreur de Platon: mettre la matière aux antipodes du système des formes. Cette manie de la dichotomie. Et Aristote après lui. D’opposer logos à hylê. Or ce que nous avons appris, c’est que la matière est composée de formes.
La science en même temps qu’elle libère les cieux de la présence de Dieu (& la libère, c’est-à-dire l’idée que nous avions de cette localisation), peuplant des espaces de plus en plus vastes, les comblant de langage, libère la matière de sa matérialité, met des mots de plus en plus profond, dans le de plus en plus petit.
Le curieux, c’est que les Grecs, lorsqu’ils ont eu à le faire, ont appelé cela, ce que les Chinois appelèrent dao, « la voie » mais aussi « le discours », ils ont appelé cela « logos« , la parole. Nous, nous appelons ça la « raison » ( ce pour quoi les Chinois ont un autre mot, li), c’est-à-dire le rapport, la proportion, qui en grec se dit encore « logos« .
Je soupçonne là une opération un peu frauduleuse. Une sorte de « donation de Constantin » des philosophes.
L’animalité, ie ce que nous sommes « avant » les mots.