Lettre de Belgrade, le 12 janvier 1717, à Alexander Pope:
Mes seules distractions sont les dicussions que j’échange avec notre hôte, Ahmet Bey, titre plus ou moins équivalent à celui de comte en Allemagne. Son père était un grand pacha et il a reçu une éducation orientale des plus accomplies. Il parle à la perfection l’arabe et le persan, et est un admirable lettré, appelé ici effendi. Une telle formation ouvre la voie aux plus nobles carrières, mais il a eu le bon sens de préférer une vie confortable, tranquille et sûre à tous les hasardeux honneurs de la Sublime Porte. Il soupe avec nous chaque soir et boit du vin résolument. Je ne saurais vous dire à quel point il apprécie la liberté de nos conversations. […] Nous avons lui et moi de fréquents débats sur les contrastes entre nos coutumes et particulièrement sur la réclusion des femmes. Il n’y a rien de grave à ce propos, m’assure-t-il, et cela présente même un avantage: quand une épouse trompe son mari, personne ne le sait. Il a plus d’esprit et d’instruction que bien des chrétiens de qualité. […] Mais ces divertissements n’entament en rien mon vif désir de quitter cet endroit, même si le temps est encore plus froid, ce me semble, qu’il ne l’a jamais été hors du Groenland. Nous avons un très gros poêle que nous poussons sans cesse et malgré cela les fenêtres de la pièce sont gelées de l’intérieur.
Lady Mary W. Montagu, qui avait épousé son mari à condition qu’il la fasse voyager, écrit cette lettre pendant son voyage d’aller à Istanbul où lord Montagu vient d’être nommé ambassadeur.
Ce petit volume (il ne contient qu’une sélection de lettres) qui tient dans la poche intérieure de ma veste, m’a fait ma lecture pendant les trois jours lillois récents. Il est intitulé « L’Islam au coeur« , ce qui est un peu trompeur: lady Montagu s’occupe fort peu de théologie mais surtout de moeurs et de son propre enchantement.
Texte original de cet extrait (depuis le projet Gutenberg):
My only diversion is the conversation of our host, Achmet Beg, a title something like that of count in Germany. His father was a great bassa, and he has been educated in the most polite eastern learning, being perfectly skilled in the Arabic and Persian languages, and an extraordinary scribe, which they call _effendi_. This accomplishment makes way to the greatest preferments; but he has had the good sense to prefer an easy, quiet, secure life, to all the dangerous honours of the Porte. He sups with us every night, and drinks wine very freely. You cannot imagine how much he is delighted with the liberty of conversing with me. […] I have frequent disputes with him concerning the difference of our customs, particularly theconfinement of women. He assures me, there is nothing at all in it; only, says he, we have the advantage, that when our wives cheat us, nobody knows it. He has wit, and is more polite than many Christian men of quality. I am very much entertained with him.[…] But these amusements do not hinder my wishing heartily to be out of this place; though the weather is colder than I believe it ever was, any where, but in Greenland.–We have a very large stove constantly kept hot,and yet the windows of the room are frozen on the inside.