Christophe Colomb et le Paradis Terrestre (2)

C’est au retour de son premier voyage, le 21 février 1493, qu’il lui vient pour la 1ère fois, au moins par écrit, l’idée que l' »Inde » par lui découverte pourrait être la région du Paradis terrestre (172). Ce n’est encore qu’une notation en passant. Il revient beaucoup plus sérieusement à cette idée dans la relation de son 3e voyage, en 1499. A l’issue d’un long développement sur la forme de la Terre, qu’il veut non pas sphérique mais semblable à celle d’une poire (234-5). Il tire l’argument d’une grande quantité d’eau douce, parente possible de celles des 4 fleuves de l’Eden, et de la douceur du climat, indicatrice, selon lui d’une plus grande proximité au ciel, pour situer en haut du renflement de la Terre « comme un tétin ou la poire », le Paradis Terrestre dans la région de sa découverte. Sa cosmographie semble alors rejoindre celle de Dante.
Cette idée (ou la possibilité de sa démonstration) semble l’avoir alors conquis puisqu’il y revient plusieurs fois (malgré le peu de succès des expéditions qu’il a envoyées découvrir effectivement le PT):
– dans la Relation aux rois de son 4e voyage (1502-1504)
– dans une lettre postérieure au Pape Alexandre VI.

(report oct. 2006)

Christophe Colomb et le Paradis Terrestre

Christophe Colomb faisait jurer, prêter par écrit serment à son équipage que Cuba, qu’il venait de découvrir, était bien un continent, en quoi il voulait reconnaître la Chine du Grand Khan, lequel il voulait rencontrer pour lui apporter la connaissance du Christ et lui demander une alliance avec la Chrétienté pour prendre l’Islam à revers.
Plus tard le même Colomb veut reconnaître dans les bouches de l’Orénoque les traces et les signes avant-coureurs du Paradis Terrestre.

Cette quête éperdue, dans la culture de l’Occident, du Paradis Terrestre, c’est-à-dire du Paradis Perdu. C’est-à-dire cette impossibilité de prendre parti de l’expulsion de l’Eden.
Et, plus curieusement, qu’il l’ait voulu reconnaître dans les parages du « Grand Khan ».

Revoir la géographie dantesque de l’épisode de la mort d’Ulysse, qui est une reprise de la faute originelle. De l’autre côté du monde Ulysse retrouve le Paradis Perdu et son geste répète celui tout à la fois du serpent, d’Adam et d’Eve, le geste du péché originel où la Bible veut nous montrer l’origine du mal.

Et les explorateurs de Dunhuang, les Stein, les Pelliot, héros ulysséens, ne répétaient-ils pas ce geste à leur tour?

suppl. (2.04): Ce n’est pas le Paradis Terrestre sur quoi bute Ulysse mais le Purgatoire. Cependant le Paradis Terrestre se trouve au sommet de la montagne du Purgatoire, par quoi se confirme bien l’analogie d’Ulysse et de Colomb: mieux, que l’obsession de Colomb soit celle du PT & non du Purgatoire atteste qu’il s’agit bien là d’une analogie profonde, d’un courant de représentations et non d’une simple réminiscence dantesque.

(report oct. 2006)

Christophe Colomb et le recentrement du Monde (2)

Ce qui a changé quant à l’image du monde: l’Islam, le dar ul-Islam cesse d’être le milieu du monde.

Le milieu du monde peut être situé en bien des endroits, mais qu’un milieu du monde ne soit milieu du monde que d’un certain point de vue ne signifie pas qu’une telle localisation soit arbitraire, qu’il n’y ait pas de sens à s’y attarder. Pour pouvoir le penser toujours se demander en quoi tel « milieu du monde » est en même temps « bout du monde ». Il est clair que jusqu’à Colomb, la chrétienté, l’Occident chrétien, ne pouvait se penser que comme bout du monde, selon les représentations en vigueur du monde connu. De ce point de vue il est clair aussi que l’entreprise de Colomb ressort d’une volonté de l’Europe de se mettre au centre du monde et qu’il y a réussi (et de ce point de vue peu importait que l’extrême occident découvert, rallié, fût les Indes ou l’Amérique).

(report oct. 2006)

Christophe Colomb et le recentrement du Monde

On n’a jamais à ma connaissance marqué ce fait, ou plus exactement tiré les conséquences de ce fait que l’extrême orient s’appelait « les Indes ». On en rend généralement compte par des considérations sur la cartographie du monde, sur la façon dont les contemporains de Colomb se faisaient une image de la forme du monde terrestre, avec cette péninsule indienne pointant vers l’est, ou que sais-je ? Mais les gens du quattrocento ne vivaient pas dans la familiarité des cartes qui est aujourd’hui la nôtre (même s’ils étaient précisément en train de fabriquer cette familiarité). Le sens de cette appellation n’est pas à chercher dans l’ordre de la géographie physique mais dans l’ordre de la conception du monde comme lieu d’une histoire (d’une histoire historiale, diraient les corbiniens), dans l’ordre de la géographie humaine si l’on veut. Pour le dire vite : les Indes sont la frontière orientale du monothéisme, l’Amérique, Indes occidentales, en sera la frontière du côté du couchant. L’appellation des terres découvertes, c’est-à-dire selon la confusion de l’époque, l’appellation de l’extrême-orient, montre la prégnance de la vision, du point de vue musulman sur le monde. L’oikoumené du quattrocento intègre le monde musulman (c’est-à-dire le monde iranien – tout ceci est à comprendre en profondeur à la lumière du fait que l’Inde a été la frontière de l’entreprise d’Alexandre). Et j’imagine les Indiens, ceux d’Amérique, qu’ils ont été en face des puritains comme les Hindouistes en face des musulmans. Et il reste quelque chose de ça aujourd’hui. Ils ont l’identité de parenthèses.

(report oct. 2006)