On trouve dans la traduction française officielle du discours de Barack Obama au Caire, jeudi 4 juin dernier, un passage qui m’a semblé d’abord mystérieux:
où Jérusalem sera un lieu de résidence sur et permanent pour les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans et un lieu où tous les enfants d’Abraham pourront se côtoyer dans la paix comme dans l’histoire d’Israh, (Applaudissements), – comme dans l’histoire d’Israh, de Moïse, de Jésus et de Mohammed (que la paix soit avec eux) unis dans la prière. (Applaudissements)
Qui donc est cet Israh que le président américain met sur un pied d’égalité avec Moïse, Jésus et Muhammad? Je suis allé voir dans l’original et je me suis rendu compte que le traducteur n’avait vraisemblablement pas compris Obama, faute d’une culture islamique suffisante (ce n’est pas le cas pour la traduction espagnole):
when Jerusalem is a secure and lasting home for Jews and Christians and Muslims, and a place for all of the children of Abraham to mingle peacefully together as in the story of Isra — (applause) — as in the story of Isra, when Moses, Jesus, and Mohammed, peace be upon them, joined in prayer. (Applause.)
Isra ou Israh (Isra’) n’est pas le nom d’un mystérieux prophète mais désigne le « voyage nocturne » du prophète de l’islam qui l’amena de La Mecque à Jérusalem (et c’est le nom de la sourate du Coran qui mentionne ce voyage). Ou plus exactement, dans le discours d’Obama, « the story of Isra » désigne ce que la tradition islamique appelle en arabe al-Isrâ’ wa-l mirâj, qui regroupe le voyage à Jérusalem et, depuis le lieu du Temple de Jérusalem, son ascension à travers les cieux jusqu’à la présence divine et au cours de laquelle il rencontre Moïse et Jésus. (On considère assez généralement que ce miraj, dont il a existé des récits traduits de l’arabe en langues romanes sous le titre de Livre de l’échelle de Mahomet, a été la source principale de la Divine Comédie de Dante.)
La référence est d’importance parce que c’est ce double voyage, dont la tradition islamique discute s’il s’est fait spirituellement, en rêve, ou physiquement, qui fonde le statut de Jérusalem comme second ou troisième lieu saint dans l’islam et donc l’attachement pour Al-Quds, Jérusalem, et les revendications qui s’ensuivent. Il y a ainsi, dans le discours d’Obama, par cette allusion en particulier, une reconnaissance de la légitimité de ces revendications. Mais il y a aussi, à l’intention des musulmans, un rappel de l’héritage judeo-chrétien de l’islam, de l’enracinement de l’islam dans la tradition biblique (voir la discussion récente ici), d’une dette, en somme, que l’extrémisme islamique voudrait oblitérer.