Les Neurones de la lecture.- Odile Jacob, 2007; pp. 61-67:
L’importation de mots étrangers, les changements d’usage et de prononciation ont entraîné un vaste décalage entre l’écrit et l’oral qui entraîne des années de souffrances pour nos enfants. La voix de la raison vote donc en faveur d’une simplification des règles orthographiques.
Cependant, avant de réformer, il importe de bien comprendre les origines des irrégularités de l’orthographe. Par-delà les vicissitudes de l’histoire linguistique, l’orthographe irrégulière du français s’explique également par la structure même de notre langue… et de notre cerveau. Les deux routes de lecture, la voie phonologique et la voie lexicale, imposent des contraintes souvent contradictoires à l’écriture d’une langue. De ce point de vue, le français, l’anglais, le chinois ou l’italien diffèrent suffisamment pour qu’il soit impossible d’adopter une solution unique et globale à l’écriture de toutes les langues.
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La tension entre lecture par le son et lecture par le sens est universelle. Tous les systèmes d’écriture doivent la résoudre par un compromis plus ou moins heureux, et qui dépend étroitement de la langue que l’on cherche à transcrire. Prenons l’exemple de l’italien. Pourquoi son orthographe est-elle aussi régulière et facile à apprendre ? Pourrions-nous imiter son exemple en français ? En fait, la langue italienne présente des particularités qui la rendent facile à transcrire par une écriture simple. Les mots italiens sont longs et comptent très souvent plusieurs syllabes. Leurs accords grammaticaux sont bien distingués par des voyelles sonores. Enfin, les homonymes y sont rares.
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L’italien et le mandarin occupent (…) les extrêmes d’une échelle de « transparence orthographique », où le français et l’anglais se situent dans une position intermédiaire. En français parlé, comme en anglais, les mots sont assez courts et les homonymes fréquents (« right », « write », « rite » ; « mais », « mes », « mets »). Pour faire face à ces contraintes, l’orthographe du français et de l’anglais incorpore un mélange de transcription phonétique et lexicale. Ce phénomène est source de difficultés orthographiques pour le scripteur mais, une fois passées les difficiles années d’apprentissage, il simplifie la tâche du lecteur.
En bref, nous commençons seulement à comprendre les contraintes croisées qui façonnent l’orthographe. Ne serait-il pas téméraire d’en envisager la réforme ? Je crois pourtant qu’une forte simplification s’impose. Nous la devons à nos enfants qui perdent des centaines d’heures à ce jeu cruel, et dont certains ne sortiront pas indemnes, stigmatisés à vie par leur dyslexie ou simplement parce qu’ils sont issus de familles défavorisées ou multilingues, qui sont les premières victimes de notre orthographe archaïque. J’espère que la prochaine génération, coutumière du langage abrégé de l’Internet et des téléphones portables, cessera de considérer cette question comme un tabou et saura trouver la volonté d’aborder cette question d’une manière rationnelle. Mais la question ne se réduira pas à l’adoption d’une solution simple, celle du « tout phonétique ». Le français, avec ses nombreuses homophonies, ne pourra jamais s’écrire aussi simplement que l’italien. Le rêve d’une langue strictement régulière n’est sans doute qu’un leurre…
Je suis content de voir que cet expert se soucie comme il fait des usagers, et d’abord des enfants et des locuteurs issus de l’immigration…
Sa position me semble équilibrée, raisonnable et juste…
Quant à savoir si la simplification qu’il souhaite a la moindre chance de se produire, non seulement d’être promulguée mais d’entrer dans les faits, j’en suis moins sûr.
Les réformes, quand elles sont retardées trop longtemps, perdent leur sens.
C’était en 1968 qu’il fallait écouter Claire Blanche-Benveniste et d’André Chervel, quand le français jouissait encore de tout son prestige culturel et de sa pleine puissance de langue véhiculaire, et quand la linguistique elle même jouissait de la même faveur en France que celle dont elle continue de jouir dans tous les autres pays du monde! Mais à présent je crains que ce ne soit trop tard.
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Je te trouve bien sombre. En tous cas entre 1968 et aujourd’hui il y a eu la réforme « Rocard » de 1991, dont je ne sais pas trop comment elle a été appliquée en France mais qui a récemment été relancée en Belgique.
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Oui, bien sombre, pas apaisé du tout… Ma réponse est ICI
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Je te réponds chez toi. Une réflexion annexe: Dehaene montre qu’une écriture phonologique du français sacrifierait la régularité de l’écriture des mots (et rendrait ainsi la lecture plus difficile, c’est-à-dire l’accès au réservoir lexical écrit – cf. les deux voies…) comme il est évident dans le cas des liaisons (« un an » > « ũ nan », « vingt ans » > « vĩ tan ») mais aussi dans le cas de changement de sonorité par voisinage (« robe sale » > « rop sal »). Il existe des systèmes orthographiques qui vont jusque là. C’est, pour ce que j’en connais, le cas du sanscrit, c’est aussi le cas de l’écriture latine du turc, au moins pour l’écriture de la règle d’harmonie vocalique qui fait que les mêmes morphèmes grammaticaux prennent des voyelles différentes selon le mot auquel ils s’agglutinent.
Le fonctionnement même de la langue turque fait qu’après une rapide initiation, cette irrégularité dans l’écriture des morphèmes ne pose pas de vrai problème au lecteur (et il est une aide au locuteur étranger). Il est vrai que ces irrégularités ne portent pas sur la partie lexicale des mots. Dans le cas du sanscrit, c’est une autre paire de manches: il est très difficile de reconnaître les mots, qui d’ailleurs ne sont pas isolés un à un. Le système d’écriture du sanscrit proclame dans ses principes même la prééminence de la voix sur la lettre et une méfiance à l’égard de celle-ci.
Remarque complémentaire: ni dans le turc, ni dans le sanscrit les mots ne se découpent comme dans nos langues européennes – et encore: les mots allemands pourraient, me semble-t-il, être assez bien découpé en plusieurs mots (« Energieerhaltungssatz » se traduit en français par « conservation de l’énergie » et porte des accents de mot secondaires sur « Energie » et « Erhaltung » et pourrait s’écrire sans trop d’inconvénients, je crois, « Energie Erhaltungs Satz » soit à l’aide de 3 mots existants). Et je me demande dans quelle mesure on ne pourrait pas soutenir que le découpage des mots est un effet de la lettre sur la parole. Existe-t-il une définition purement liguistique du mot?
PS. Ce serait sympa pour tes lecteurs et pour moi d’indiquer que ton billet poursuit une échange commencé ici.
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Reblogged this on mrg | lettrure(s).
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Foutèze! Vou conprené trè bièn çe qe j’écri mème si ç’é écri fonétiqemen.
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Wi, sof ki fo k’je vocaliz, ksa prã du tã é kla cõpréãsiõ é la mémorizasyõ ã sõ mwẽz éfikas :-)
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