(Reporté depuis Lettrures le 22 août 2021)
« Il se peut qu’il soit impossible pour les humains ou pour tout autre animal d’amener un souvenir à la conscience sans l’altérer d’une manière ou d’une autre. (…) Les souvenirs regardant un évènement comme le 11 septembre pourraient être particulièrement susceptible [d’être altérés] parce que nous avons tendance à les rejouer encore et encore dans notre esprit ou dans nos conversations avec les autres – et chaque répétition a le potentiel de les altérer. »
La mémoire à court terme n’implique que des changements relativement rapides et simples au niveau des synapses mais la mémoire à long terme entraîne la fabrication de protéines neuronales spécifiques qui sont re-fabriquées à chaque fois qu’un souvenir est ré-archivé après avoir été évoqué.
Source : How Our Brains Make Memories / Greg Miller.- Smithsonian (mai 2010)
extraits (ma traduction, libre) :
Il se peut qu’il soit impossible pour les humains ou pour tout autre animal d’amener un souvenir à la conscience sans l’altérer d’une manière ou d’une autre. (…) Les souvenirs regardant un évènement comme le 11 septembre pourraient être particulièrement susceptible [d’être altérés] parce que nous avons tendance à les rejouer encore et encore dans notre esprit ou dans nos conversations avec les autres – et chaque répétition a le potentiel de les altérer.
Karim Nader est chercheur en neurosciences à l’Université McGill de Montréal. Il est né au Caire, d’une famille copte, réfugiée au Canada en 1970, lorsqu’il avait 4 ans.
Ses idées sont non-conventionnelles dans le champ des neurosciences et elles ont amené des chercheurs à reconsidérer quelques unes de leurs hypothèses de bases sur le fonctionnement de la mémoire. En bref, Nader croit que l’acte même du re-souvenir peut changer nos souvenirs.
Le professeur Eric Kandel, de l’Université Columbia de New-York[1], a montré que les souvenirs de court terme (MCT) implique pour le synapse des changements chimiques relativement rapides et simples (…) [mais] pour bâtir une mémoire qui dure des heures, des jours ou des années, les neurones doivent fabriquer de nouvelles protéines et étendre les liaisons (…). Les souvenirs de long terme (MLT) doivent être littéralement bâtis dans les synapses du cerveau. Kandel et d’autres neuroscientifiques ont généralement pensé qu’une fois qu’un souvenir est construit, il est stable et ne peut être facilement défait. Ou, comme ils le disent, la mémoire est « consolidée ».
Dans les années 60, les résultats de travaux sur des rongeurs ne collaient pas avec la théorie de la consolidation: un souvenir pouvait être affaibli sur l’on donnait à l’animal un choc électrique ou une drogue qui interférait avec un neuro-transmetteur particulier juste après qu’on a amené l’animal à rappeler le souvenir. Cela suggérait que les souvenirs était vulnérables même après qu’ils avaient été consolidés.
Pour le dire autrement, ces travaux suggéraient que ré-archiver un vieux souvenir après qu’il a été rappelé était étonnamment similaire à le créer la première fois. Aussi bien la fabrication d’un nouveau souvenir que le ré-archivage d’un souvenir ancien impliquaient apparemment la fabrication de protéines dans le synapse. Les chercheurs ont appelé ce processus « reconsolidation ».Nader décida de revisiter le concept à l’aide d’une expérience. Dans l’hiver de 1999, il apprit à quatre rats qu’un bip aigu serait suivi d’un choc électrique léger. Cela fut facile: les rongeurs apprennent de telles associations après y avoir été exposés une seule fois. Après quoi le rat s’immobilise lorsqu’il entend le son. Nader attendit alors 24 heures, joua le son pour réactiver le souvenir et injecta dans le cerveau du rat une drogue qui empêche les neurones de produire de nouvelles protéines.
Si les souvenirs sont consolidés une fois pour toutes lorsqu’ils sont d’abord créés, raisonna-t-il, la drogue n’aurait aucun effet sur le souvenir du son ou sur la manière dont il réagirait au son dans l’avenir. Mais si les souvenirs doivent être rebâtis, ne serait-ce que partiellement, chaque fois qu’ils sont rappelés – jusqu’à la synthèse de protéines neuronales fraîches – les rats qui ont reçu la drogue devraient répondre ensuite comme s’ils n’avaient jamais appris à craindre le son et l’ignoreraient.Lorsque Nader testa plus tard les rats, ils ne s’immobilisèrent pas après avoir entendu le son: c’était comme si ils avaient tout oublié à son propos.
Après les découvertes initiales de Nader, certains neuroscientifiques ont dénigré son travail dans des articles et l’ont snobé aux manifestations scientifiques. Mais les données ont reçu un autre écho chez certains psychologues. Après tout, leurs expériences ont depuis longtemps suggéré que la mémoire pouvait être facilement déformée sans que les gens s’en rendent compte.
Dans une étude classique de 1978 menée par Elizabeth Lotfus, alors psychologue à l’Université de Washington, des chercheurs ont montré à des étudiants une série de photographies représentant un accident au cours duquel une Datsun rouge renversait un piéton à un passage clouté. Les étudiants répondaient à différentes questions, certains les induisant en erreur intentionnellement. Par exemple, bien que les photographies aient montré la Datsun à un stop, les chercheurs demandaient à certains étudiants, « Est-ce qu’une autre voiture a dépassé la Datsun rouge pendant qu’elle était arrêté devant le panneau ‘céder la priorité’? »
Plus tard les chercheurs ont demandé à tous les étudiants ce qu’ils avaient vu – un stop ou un panneau ‘céder la priorité’? Les étudiants auxquels on avait posé la question trompeuse étaient plus nombreux à donner une mauvaise réponse que les autres.Les gens tendent à avoir des souvenirs exacts des faits de base concernant un évènement remarquable – par exemple qu’un total de quatre avions ont été détournés lors des attaques du 11 septembre – mais ils se souviennent souvent mal de détails comme là où ils étaient et ce qu’ils faisaient à ce moment-là. Hardt [postdoc dans le labo de Nader] dit que ce pourrait être ainsi parce qu’il y a deux types de souvenirs qui sont réactivés dans des situations différentes. La couverture par la télévision et les autres médias renforce les faits centraux. Mais le rappel de l’expérience pour d’autres personnes peut permettre l’apparition de déformations. « Lorsque vous le rapportez, le souvenir devient plastique, et ce qui est présent dans votre environnement peut interférer avec le contenu original du souvenir », dit Hardt. Dans les jours qui ont suivi le 11 septembre, par exemple, les gens ont vraisemblablement remanié leurs propres histoires personnelles à répétition – « où étiez-vous lorsque vous avez appris la nouvelle? » – lors de conversations avec des amis et la famille, permettant peut-être à des détails des histoires d’autres personnes de se mélanger avec la leur.
Brunet[2] vient de terminer une étude plus large avec près de 70 patients souffrant de troubles du stress post-traumatique (PTSD). Ceux qui ont pris du propanolol une fois par semaine pendant six semaines pendant qu’ils lisaient le script de leur évènement traumatique ont montré un réduction de 50% en moyenne de leurs symptômes post-traumatiques. Ils ont moins de cauchemars et de flashbacks dans leur vie quotidienne longtemps après que les effets de la drogue se soient dissipés. Le traitement n’a pas effacé chez les patients le souvenir de ce qui leur est arrivé; il semble plutôt avoir changé la qualité de ce souvenir. « Semaine après semaine le ton émotionnel du souvenir semble s’affaiblir » dit Brunet. « Ils commencent à moins se soucier de ce souvenir. »
—
- Il a partagé pour ses travaux le prix Nobel de médecine en 2000
- Alain Brunet, un psychologue au Douglas Mental Health University Institute de Montréal
Une réflexion sur “Comment nos cerveaux fabriquent les souvenirs (Karim Nader)”