Quevedo (?), lettrure baroque (1626)

El Buscón, prologue:

Je te vois fort désireux, lecteur (ou auditeur : je pense aux aveugles qui ne peuvent lire), d’ouïr les gracieusetés de Don Pablos, prince de la vie friponne.
Tu trouveras ici tous genres de friponnerie — qui est je crois au goût des plus nombreux — : finesses, tromperies avec l’art et la manière — nés de l’oisiveté — de vivre de la fourbe. Tu en tireras bon profit si tu es attentif à la leçon, mais quand bien même tu n’en ferais rien. Eh bien, il te restera les sermons en chaire; je doute, en vérité, que personne achète des livres amusants pour fuir les appétits de sa nature dépravée. Enfin, qu’il en soit comme tu voudras; applaudis ce livre, il le mérite; et quand ses facéties te feront rire, loue l’esprit de qui a su déceler qu’il y a plus de plaisir à connaître des vies de gueux contées gaillardement que toute autre invention plus sérieuse.
Tu sais quel en est l’auteur; le prix du livre ne t’est pas inconnu puisque tu l’as chez toi, à moins que tu ne le feuillettes chez le libraire, pratique nuisible pour lui et qui se devrait proscrire avec la plus grande rigueur, car il est des pique-livres comme des pique-assiettes, et certains trouvent leur compte à lire en plusieurs fois et en plusieurs morceaux, quitte à coudre ensuite le tout ensemble, Et c’est grande pitié que ces mœurs car le pique-livres, par après, critique sans qu’il lui en ait coûté un rouge liard, poltronnerie bâtarde et misère à laquelle le Chevalier de la Tenaille n’a point songé.
Dieu te garde des mauvais livres, des sergents et des femmes blondes, quémandeuses et pleines de malice.

Francisco de Quevedo, El Buscón, adresse au lecteur[1]

Ma curiosité avait été aiguisée par l’annonce, à la radio, de l’édition d’un roman graphique intitulé les Indes fourbes[2], qui faisait une suite au roman picaresque de Francisco de Quevedo, Historia de la vida del Buscón, llamado Don Pablos, ejemplo de vagabundos y espejo de tacaños, communément abrégé en El Buscón. Je suis allé voir dans mon volume de la Pléiade et suis, très normalement, tombé sur ce prologue qui donne, ai-je trouvé, l’image savoureuse d’un moment de « lettrure » et que j’ai tout de suite voulu lire en espagnol. Cependant les versions numériques gratuites, comme celle du Project Gutenberg, par exemple, ne donnent pas ce prologue que j’ai tout de même fini par dénicher, en ouverture de l’article d’une chercheuse espagnole[3]:

AL LECTOR

Qué deseoso te considero, lector o oidor —que los ciegos no pueden leer—, de registrar lo gracioso de don Pablos, príncipe de la vida buscona. Aquí hallarás en todo género de picardía —de que pienso que los más gustan— sutilezas, engaños, invenciones y modos, nacidos del ocio, para vivir a la droga, y no poco fruto podrás sacar dél si tienes atención al escarmiento. Y cuando no lo hagas, aprovéchate de los sermones, que dudo nadie compre libro de burlas para apartarse de los incentivos de su natural depravado. Sea empero lo que quisieres. Dale aplauso, que bien lo merece; y cuando te rías de sus chistes, alaba el ingenio de quien sabe conocer que tiene más deleite saber vidas de pícaros, descritas con gallardía, que otras invenciones de mayor ponderación.
Su autor, ya le sabes; el precio del libro, no le ignoras, pues ya le tienes en tu casa, si no es que en la del librero le hojeas, cosa pesada para él, y que se había de quitar con mucho rigor, que hay gorrones de libros como de almuerzos, y hombre que saca cuento leyendo a pedazos y en diversas veces y luego le zurce; y es gran lástima que tal se haga, porque éste mormura sin costarle dineros, poltronería bastarda y miseria no hallada del Caballero de la Tenaza. Dios te guarde de mal libro, de alguaciles y de mujer rubia, pedigüeña y carirredonda.

(J’ai revu, dans le soleil bas et froid des derniers jours de novembre. la place Santa Ana, avec au fond par le Teatro Espanõl, et derrière, en continuant depuis mon petit hôtel vers les musées, cette partie du barrio de las letras dont les rues portent les noms de Cervantès, de Lope de Vega, de Quevedo.)


  1. Traduction Francis Reille (Pléiade, Romans picaresques espagnols, 1968, p. 759
  2. Les Indes fourbes par Juanjo Guarnido (dessin) et Alain Ayroles (scénario), chez Delcourt
  3. « La autoría quevediana del prólogo Al lector del Buscón » / María José Tobar Quintanar in La Perinola, , 15, 2011, pp. 333-345, article qui s’interroge sur l’attribution (contestée) du prologue à Quevedo

Une réflexion sur “Quevedo (?), lettrure baroque (1626)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s