Nora, Foucault, Sartre, une anecdote

Entretien entre Pierre Nora et Raphaël Enthoven sur France-Culture en mars 2008:

« Il est arrivé dans mon bureau au moment où j’éditais les Mots et les choses, et on avait mis à l’envers le fameux diagramme des savoirs auquel on ne comprenait rien. Il est arrivé, il s’est pris la tête entre les mains et je lui ai dit: « Mais écoutez, de toutes façons, si vous croyez que quelqu’un va le regarder et le lire, à l’endroit ou à l’envers, vous vous trompez. Alors…, je lui avais d’ailleurs raconté à ce propos l’histoire, célèbre depuis, de Sartre, de l’Être et le Néant… (…) 15 ans après la publication de l’ Être et le Néant, il y a un lecteur qui est venu réclamer à cause de la malfaçon de son livre où il manquait un cahier de 16 pages, puisque c’est par 16 pages qu’on fait les cahiers de livres, et on a regardé dans tous les autres, depuis le début il manquait ces seize pages. Personne ne s’en était aperçu, aucun lecteur et Sartre lui-même ne l’avais jamais remarqué. J’ai raconté cette histoire à Foucault et naturellement on riait de choses comme ça. On riait de tout, si j’ose dire, de la vanité du monde, de la sienne en particulier (…) il savait tellement bien ce qu’il faisait, il était tellement machiavélique (…) c’était un stratège à l’état pur. » (9:08)

Le lecteur attentif (Patrice Tardieu) qui avait repéré l’erreur dans la première édition de l’ Être et le néant, Patrice Tardieu, rend compte de cette anecdote dans son blogue:

Pierre Nora a raconté récemment sur France-Culture que Michel Foucault était furieux parce qu’une illustration d’un de ses livres avait été inversée à l’impression, et qu’il lui avait dit de se calmer car il avait reçu d’un jeune professeur de philosophie une lettre lui indiquant qu’il manquait [dans l’Être et le Néant] les pages 465 à 480 [ soit un feuillet d’imprimerie de 15 pages ], une fois arrivé à la lecture de la page 464. Pierre Nora fait vérifier sur le stock qui reste chez Gallimard ; les 15 pages manquent à tous les exemplaires ! Preuve que personne n’avait lu jusque là ! Beaucoup en avait parlé, aucun ne l’avait lu en entier sans oser l’avouer (sauf Alain Robbe-Grillet ) ! Ce jeune professeur de philosophie, c’était moi !

Voir (écouter!) aussi plus loin:

12:00: « Ce qui m’éloignait de lui, c’était son indifférence à la vérité, qui, pour un philosophe, me choquait personnellement. Il avait un problème avec la vérité, d’ailleurs il n’a parlé que de la vérité. Et pour moi il y a quand même, chez cet homme qui a tellement investi de lui-même, de son rapport au monde, de sa difficulté à être, de sa sexualité personnelle, dans son œuvre une forme de dénégation profonde. »

(Plusieurs fois dans l’entretien Pierre Nora fait état de réticences à dire et donne finalement une impression assez déplaisante mais peut-être tout simplement parce qu’il est emmerdé, tiraillé entre des injonctions (morales, éthiques, surmoïques?) contradictoires.)

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