« pas de fusion possible avec les Arabes! »

L’Afrique française du maréchal Clauzel, vers 1840 (cité dans Histoire d’un parjure / Michel Habart):

Les avantages de l’Algérie seraient immenses si, comme en Amérique, les races indigènes avaient disparu, et si nous pouvions jouir de notre conquête en sécurité, condition première de toute colonisation. Ce but atteint, il sera bon de voir ce que font les Anglais de leurs colonies… Colonisons, colonisons! A nous la Mitidja! A nous la plaine! Toutes ces terres sont de première qualité. A nous seuls! Car pas de fusion possible avec les Arabes!

Histoire d’un parjure (titre qui fait allusion aux proclamations en arabe, garantissant aux algériens le respect de leur indépendance et de leur religion, distribuées par les Français en 1830) a été publié par les éditions de Minuit en 1960. Il n’a pas été réédité depuis à ma connaissance. Voici comment Morvan Lebesque le présentait dans le Canard Enchaîné au moment de sa publication:

Au moment où la guerre d’Algérie rue, mord et bave, cabrée dans ses derniers soubresauts – du moins, nous l’espérons, et prenons garde ! car c’est alors, chacun le sait, que la bête est la plus dangereuse !- il paraît un petit livre qui remonte à ses origines. Il s’intitule « Histoire d’un Parjure » et son auteur, M. Michel Habart, y a recueilli des textes qui rempliraient plusieurs colonnes de l’Anti-France. Sujet? La Conquête. Et qu’y trouve-t-on? Exactement tout ce que nous ignorions, malgré nos livres d’école, non : à cause d’eux.
Allons, direz-vous : encore un livre partisan – Les Editions de Minuit, n’est-ce pas? – basé sur des témoignages d’extrême- gauche. Vous n’y êtes pas du tout. Ses témoins, M. Habart ne les a pas choisis parmi les « traîtres » d’aujourd’hui ou d’hier : ni Jean-Paul Sartre, ni Lamartine. Il est allé les chercher tout bonnement à la Bibliothèque Nationale, et ils s’appellent Louis-Philippe, Bourmont, Clauzel, Bugeaud, Saint-Arnaud, Thiers. Massacreurs d’Arabes et fusilleurs d’ouvriers, la caution est-elle assez bonne? Si oui, lisez ce qui va suivre.

Après le saut les extraits que j’en fis à Oran, en 1982, où mon ami El Hadi Didi me l’avait prêté avant de me l’offrir à notre retour ainsi que quelques autres extraits du compte-rendu de Morvan Lebesque dont l’intégralité a été mise en ligne ICI, où je l’ai trouvé <mise à jour, 6.06.2010>le lien est rompu – on trouve encore le compte-rendu de ML sur le site du Soir d’Algérie</mise à jour>.

Histoire d’un parjure / Michel Habart.- Minuit, 1960:

Proclamations en arabe en 1830 garantissant l’indépendance et le respect de la religion. Ont facilité la conquête.

Enfants chantaient en sabir à Alger :

El Inglès vanir, fazir boum-boum
maccache chapar Alger
El Francès vanir, fazir Turlu-Turlututu
chapar Alger.

Ordonnance royale de 1834 fait de l’Algérie une possession française.
5000 maisons à Alger, 3000 confisquées, 900 démolies.

Décret du 8 sept. 1830 : séquestration des biens habous (fondations religieuses) et de ceux de l’Etat algérien = majorité des propriétés urbaines + une bonne partie de la Mitidja et des plaines côtières.

Loi de 1840 : expropriation forcée.
Loi de 1863 et 1887 : individualisation des propriétés collectives -> spéculation des colons.

-> [1960] Européens : 90% des plaines d’Alger, d’Oran et de Bône, 95% des plantations de vignes et d’agrumes.

Alger : avant 1830 : 132 mosquées, 1865 : 12 mosquées laissées au culte musulman. Oran : il ne reste qu’une mosquée.
Profanation des cimetières, ossements envoyés à Marseille pour fabriquer du noir animal.

Décrets du 7 sept. et du 9 déc. 1830 : affectaient les revenus de toutes les fondations charitables et culturelles aux domaines français.
« De ces revenus dépendaient l’entretien des monuments historiques, celui des mosquées et de leurs imams, celui des écoles, collèges, universités et de leurs professeurs, celui des conduits et fontaines d’eau potable d’Alger, l’assistance sociale aux pensionnés de guerre, aux malades, vieillards, orphelins et indignets des cités. »

22 octobre 1830 : soumet la justice musulmane au contrôle de la justice française.

1832 (Hamdan Khodja) : 10 000 000 habitants, 1872 (1er recensement complet de l’Algérie française) : 2 100 000 musulmans.
1954 : 8 500 000 musulmans.
[p.77]
Alger : 1730 : 100 000 habitants.
1827 : 70 000 h.
1833 : 12 000 h.
Constantine : 45 000 -> 12 000
Bône : 4 000 -> 2 000
Oran : [20 000] 10 000 -> 2 000
Mostaghanem 15 000 -> 1 000 env.

La population des villes s’est singulièrement modifiée. Trouver des émigrations si minimes est une des plus douces récompense que nous ayons recueillies de la justice du régime auquel nous avons soumis les indigènes. Mais les vides ont été comblés par les Européens, dont les flots sont destinés à se répandre pour éclairer cette vaste partie du monde. (Le Moniteur algérien du 14 janvier 1833)

refoulement dans le désert.

Pourquoi les Arabes dépérissent ? Tant que rien n’a été changé à la constitution des Arabes, ils ont pu, par les produits de la terre, subvenir à leurs besoins… Ce peuple étant devenu un peuple de khamès sans terre et sans silos, les hommes, femmes et enfants sont allés mourir de faim autour des centres de colonisation. Ils sont morts sans se plaindre. (Comte Le Hon, rapporteur de la commission d’enquête en 1869).

[Le sénatus-consulte de N. III] cherchait d’abord à désagréger les tribus, et à mobiliser la propriété, les premières tribus à délimiter étant choisies parmi les plus rapprochées de nos centres… Une fois que la terre sera sortie des principes du communisme, il suffira de la mettre en état de produire… (Le Hon)

Rendement :
territoires d’origine : 15 pour 1,
territoires de refoulement : 5 pour 1.
1872 : 2 moutons / h.
1920 : 1 mouton / 2 h.
1870 : 6 quintaux orge+blé / h.
1950 : 2  »  »  »  »  » / h.
Européens : 2/3 de la production végétale totale du pays.
1 000 000 de chômeurs, 1 000 000 de paysans sans terre.
Revenu moyen :
16 000 francs pour le musulman,
450 000 fr. pour l’européen.

Les avantages de l’Algérie seraient immenses si, comme en Amérique, les races indigènes avaient disparu, et si nous pouvions jouir de notre conquête en sécurité, condition première de toute colonisation. Ce but atteint, il sera bon de voir ce que font les Anglais de leurs colonies… Colonisons, colonisons! A nous la Mitidja! A nous la plaine! Toutes ces terres sont de première qualité. A nous seuls! Car pas de fusion possible avec les Arabes! (L’Afrique française du maréchal Clauzel, vers 1840).

Innombrables déclarations, plus ou moins directes, sur la nécessité du génocide.

Surprise en 1830 :

Le pays nous paraît riche, cultivé, couvert de bestiaux, de maisons et de jardins soignés. (rapport Valazé).

Il est difficile de se figurer les milliers de maisons de campagne qui couvrent ce beau pays. C’est un coup d’oeil qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, sauf dans les environs de Marseille, beaucoup moins étendus, agréables et fertiles. (Montagne).

Stérilité des zones soumises :

l’état négligé d’un pays qu’on a voulu nous présenter comme en plein rapport. Evidemment nous avons bien éclairci un peu la campagne… (Le Moniteur).

En 1830 tous les Algériens savaient lire, écrire et compter

et la plupart des vainqueurs avaient moins d’instruction que les vaincus (commission de 1833).

Avant 1830 : + de 100 écoles primaires à Alger,
86 Constantine,
50 Tlemcen.
6/7 collèges secondaires à Alger et Constantine,
10 zaouia (universités) en Algérie,
1 école dans chaque village ou groupe de hameaux.
1840 : 2 ou 3 instits pour toute la province d’Algérie (Mgr Dupuch), 1860 : 13 écoles franco-arabes.

Ce qu’il faut, c’est donner des livres à ce peuple curieux et intelligent. Ils savent tous lire. Et ils ont cette finesse et cette aptitude à comprendre qui les rend si supérieurs à nos paysans de France. (Tocqueville).

A la commission d’enquête qui lui demande ce qui manque le plus aux Maures d’Algérie, Boudaba répondra : « Des journaux ». Suivant le général Pélissier, avant notre arrivée

Alger était peut-être la ville du monde où la police était la mieux faite… Avec nous, les vols, naguères presqu’inconnus, se multiplient dans des proportions effrayantes.

Certes l’Algérie était alors un ensemble oriental et médiéval de démocratie communaliste, de nomadisme féodal et de théocratie maraboutique, que maintenait et défendait, contre un monde hostile et tout proche, un Etat encadré par une oligarchie militaire (oligarchie incorporée au pays, les coulouglis, les Maures, et même les Juifs en étaient souvent les vrais maîtres). Elle ne correspondait pas à tous les aspects de notre conception de la nation ; mais nombreuses étaient alors les nations dont la structure n’était guère plus cohérente. Bien peu, en tous cas, possédaient cette ferveur nationale, dont, depuis cent trente ans, le peuple algérien nous donne un témoignage unique au monde. (p.144).

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LA GUERRE DE 130 ANS / Morvan Lebesque (janvier 1960, in Le Canard Enchaîné):

Au moment où la guerre d’Algérie rue, mord et bave, cabrée dans ses derniers soubresauts – du moins, nous l’espérons, et prenons garde ! car c’est alors, chacun le sait, que la bête est la plus dangereuse !- il paraît un petit livre qui remonte à ses origines. Il s’intitule « Histoire d’un Parjure » et son auteur, M. Michel Habart, y a recueilli des textes qui rempliraient plusieurs colonnes de l’Anti-France. Sujet ? La Conquête. Et qu’y trouve-t-on ? Exactement tout ce que nous ignorions, malgré nos livres d’école, non : à cause d’eux.
Allons, direz-vous : encore un livre partisan – Les Editions de Minuit, n’est-ce pas ? – basé sur des témoignages d’extrême- gauche. Vous n’y êtes pas du tout. Ses témoins, M.Habart ne les a pas choisis parmi les « traîtres » d’aujourd’hui ou d’hier : ni Jean-Paul Sartre, ni Lamartine. Il est allé les chercher tout bonnement à la Bibliothèque Nationale, et ils s’appellent Louis-Philippe, Bourmont, Clauzel, Bugeaud, Saint-Arnaud, Thiers. Massacreurs d’Arabes et fusilleurs d’ouvriers, la caution est-elle assez bonne ? Si oui, lisez ce qui va suivre.

Elles nous racontent d’abord l’histoire d’un parjure : les troupes françaises n’entrèrent à Alger qu’en jurant « sur le sang » que les Arabes garderaient leur indépendance ( « Vous régnerez dans votre pays, maîtres indépendants de votre patrie »). Ensuite, l’histoire d’un crime. Ce crime ou, pour l’appeler de son nom, ce génocide, commença dès la prise d’Alger. On vit les « pacificateurs » – car le mot pacification avait déjà trouvé son plein emploi !- piller, enfumer, assassiner, vendre en vrac, après le sac d’une ville, des bracelets auxquels adhéraient encore les mains coupées.

Dès 1840, de nombreux prêtres se plaignent des confessions « atroces » qu’il reçoivent.

Alors, l’Armée s’agite. Tout le mal vient de Paris qui ne la comprend pas, des « libéraux », des « traîtres » (déjà, mai oui !). Mais patience : il faut « algériser la France ! » s’écrie Emile de Girardin, et Bugeaud : « Ne nous y trompons pas Les vrais Bédouins sont à Paris ! ».

Pendant dix-huit ans, la France sera gouvernée par un homme qui ne fut peut-être pas plus mauvais qu’un autre. Il s’appelait Napoléon 3, et il avait compris, lui, que l’Algérie était « un boulet aux chevilles». Du coup, cet homme qui se proclamait lui-même « providentiel» et dont un de ses ministres disait : « Il n’entre jamais dans les arguments qu’on lui oppose », chercha la solution. Il la trouva – il en trouva même plusieurs- je cite : « gouvernement du pays par le pays », « assimilation», « Algérie Arabe », « Royaume Musulman », « Ministère de l’Algérie ou Cantonnement », allant ainsi d’un extrême à l’autre et de l’Algérie Française au « territoire multi-communautaire ». Aucune de ces solutions, on le sait, n’aboutit. C’est que cet homme, sans doute, commandait sans être obéi.

Non, certes, lecteurs d’Alger ! il ne faut pas oublier certains assassinats inutiles et odieux commis par ceux d’en face. Mais sincèrement, cette situation coupable, la guerre, n’est-ce pas nous qui l’avons installée dans ce pays, n’en sommes-nous pas, au premier degré, responsables ?

Je l’ai écrit maintes fois : je ne crois pas au péché originel, et le petit Européen de Bab-El-Oued n’a pas à payer pour les massacres de Bugeaud. Ce n’est pas là une raison pour oublier ce que fut cette guerre de cent-trente années.

12 réflexions sur “« pas de fusion possible avec les Arabes! »

  1. je suis de mascara mon grand père était un solda dans les troupe de l’émir ABDELKADER . nous as raconter :
    après la chute de la ZMALA ils éraient poursuivis par les troupes francaises
    dans les terres intérieures et ils meurent de faims et de soif
    ma grande mère n’as pas pus supporter et as bu l’urine de l’ânesse.

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  2. @Noureddine: Effectivement le livre de Michel Habart est donné comme indisponible sur les sites de libraires en ligne. (Mon exemplaire m’avait été offert, lors d’une visite à Oran en 1982, par mon ami Mohammed Didi Elhadi, hélas décédé depuis.)

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  3. Le ministère de l’éducation nationale algérien n’a rien fait pour mettre ses révélations dans les ouvrages scolaires. Et la France parle de colonisation positive. Ou sont les intellectuels et journalistes algériens.

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  4. Bonjour
    merci pour votre étude , juste pour souligner que le livre se trouve facilement à Alger j’en ai acheté un il y a 4 ans et depuis 2 autres que j’ai offert à des amis

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  5. merci de cette info importante qui va à l’encontre de toute idee de colonisation positive!!on le savait deja ayant souffert tous dans notre chaire dees effets de cette colonisation, et ce livre vient donner un coup de grace à tous les tenants de la loi de 2005 ,et aux extremistes du FN et autres elements clivants de la socite française, qui a pourtant besoin de vivre en harmonie avec elle meme et tous ses composants venus de partout ………consequence tout a fait normale de l’empire coloniale !!!!

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