L’un des pasteurs de St Margaret d’Ilketshall était le révérend Ives, mathématicien et helléniste d’un certain renom qui demeurait à Bungay avec sa femme et sa fille et dont on rapporte qu’il avait coutume, à la tombée du jour, de boire un verre de mousseux des Canaries [le traducteur, Bernard Kreiss, précise: »Cocktail à base de vin doux des Canaries, oeuf, canelle, noix de muscade et sucre »]. Nous sommes en 1795. Durant les mois d’été, on reçoit fréquemment un jeune aristocrate français qui a fui les horreurs de la Révolution. Ives s’entretient avec lui des poèmes homériques, de l’arithmétique newtonnienne et de l’Amérique où ils se sont rendus tous deux. Il est question des grands espaces qui s’offrent à l’homme dans ces contrées, des forêts immenses où les arbres sont plus haut que les colonnes de nos plus grandes cathédrales, mais aussi des chutes du Niagara, de la signification que confère à l’interminable vrombissement des masses d’eau le sentiment d’abandon auquel s’expose celui qui s’arrête à proximité de la cataracte. (p. 324)
Quelques phrases plus tard, après l’intervention de la fille du révérend, on devine qui est le vicomte, du moins ceux qui comme moi l’ont peu lu – les autres l’auront reconnu tout de suite. Pris dans la lecture suivi des Anneaux, le début de ce passage produit un effet intéressant: la visite du jeune vicomte vient se placer dans la série des stations que parcourt Sebald le long de la côte sud-est de l’Angleterre, de ses visites auprès de personnages isolés, sinon solitaires, chacun porteur d’une idée, d’une vision ou d’une histoire, comme cet Alec Garrard qui consacre son temps et son énergie à la construction d’une grande maquette, la plus exacte archéologiquement possible, du Temple de Jérusalem et qu’il vient de rencontrer au début du même chapitre.
(photo Martin Pettit sur Flickr)