« Laissez d’abord vos suggestions: si c’est pour nous dire qu’elles sont obscures sans être capable de les éclairer, autant n’en pas parler. »
la critique du professeur de philosophie (p. 263 de l’édition de la Pléiade) sur un devoir de vacances dont Jean n’était pas peu fier:
« Mais même pour le professeur de lettres, ne grossissez pas la voix pour dire des banalités. “Les rouges incendies du couchant”, comment osez-vous écrire cela? C’est de la couleur pour un petit journal d’où, voyons, de province, non plus même, des colonies. Peut-être, que sais- je, le rédacteur du Fanal de Mozambique émaille-t-il un article, peut-être, de ces verroteries et les dames de là-bas y reconnaissent leur Chateaubriand. Non, n’est-ce pas, vous avez mis cela sans y penser, j’insiste trop. De même, vous parlez tout le temps de parfums exquis, d’odeurs embaumantes. Qu’est-ce que cela dit à l’imagination? C’est l’écœurante marchandise des petits parfumeurs de lettres. Laissez-la-leur. Vous avez sans doute éprouvé, comme tout le monde, la noble volupté que donnent certains parfums: tâchez de nous la rendre, et ce sera mille fois plus intéressant. Regardez comme vos phrases sont vagues. Vous dites: “On y respirait les senteurs enivrantes, pleines de suggestions obscures, du lilas et de l’héliotrope.” Laissez d’abord vos suggestions: si c’est pour nous dire qu’elles sont obscures sans être capable de les éclairer, autant n’en pas parler. Et n’allez pas mêler les senteurs du lilas et de l’héliotrope. Vous savez bien que c’est quand ils sont tout mouillés par la pluie qu’on sent vraiment l’odeur fraîche des lilas, tandis que l’héliotrope ne donne tout son parfum, qui est si doux, qu’au soleil. Mais ce n’est pas moi qui vous donnerai tous ces conseils, puisque je suis seulement ici pour vous apprendre la philosophie. »
Ne dirait-on pas Nabokov?