« le sommeil, cet empêcheur de tourner en rond » (Alexandre Grothendieck)

Pourquoi écrire?
D’ailleurs, m’étais-je dit, quelle folie que d’écrire! Écrire pour qui? Écrire pour quoi? Écrire des pièces? Il y en a déjà. Des nouvelles? Il n’y a rien de nouveau. Et puis, dans ce terrible quartier sourd, noir, est-ce que l’on écrit? Et même ailleurs est-ce que le monde n’est pas plein d’êtres d’une valeur insigne qui pensent, agissent, aiment, tuent, et qui n’écrivent jamais? Dans le fond n’est-ce pas toujours par vanité, pour montrer que l’on est peuplé de séraphins et que d’autres n’ont pas cela? Est-ce que d’ailleurs ce calcul n’est pas faux? Tels ou tels ne se sont-ils pas ridiculisés pour les générations qui vont venir? (Le Petit labyrinthe harmonique, 1929, dans Bois sec, bois vert, p.152)
Comment parler?
– Comment faut-il parler? – Assez lentement et d’une voix sourde, et en s’entrecoupant souvent. – Que pensez-nous de ceux qui parlent bien (grammaticalement) et à toute allure? – Qu’ils sont d’un ridicule insondable. Les gens comme il faut, les Portugais de très grande race, qui ont des chiens café au lait font quelquefois une telle bouillie, quand ils parlent, qu’on les comprend à peine. C’est comme ça qu’il faut parler: en méprisant constamment la langue qui asservit et maîtrise l’individu. Je déteste les civilisations uniquement verbales. Il faut que les gens apprennent à regarder et à comprendre avant de vous mettre au défi. C’est ce défi qui est continuel et qui est insupportable dans les civilisations uniquement verbales. (Le grand questionnaire, 1931, dans La Fourmi rouge et autres textes, p. 80)