« le sommeil, cet empêcheur de tourner en rond » (Alexandre Grothendieck)

« Pendant toute ma vie et jusqu’à il y a trois ou quatre ans, la capacité illimitée de récupération par un sommeil profond et prolongé avait été le pendant solide et salutaire à des investissements d’énergie parfois démesurés: quand le sommeil est sûr, on ne craint plus rien, on peut se permettre (sans que ce soit folie) de se lancer à corps perdu et jusqu’à l’épuisement dans des orgies de travail quitte à se rattraper par des orgies de sommeil réparateur! Cette capacité qui toute ma vie m’avait semblé aller de soi tout autant que la capacité de travail, la capacité de découverte (et sûrement les deux sont intimement reliées….) a fini en ces dernières années par s’élimer, et parfois par disparaître, pour des raisons que je discerne mal à présent, et que je n’ai pas vraiment fait l’effort encore de sonder. De plus en plus, quand, après une longue journée passée sur ma machine à écrire (ou sur des notes manuscrites) et obéissant aux injonctions de mon corps qui refuse de continuer, je me résous à aller me coucher, la position allongée (et le soulagement partiel qu’elle fournit à la tension de la position assise) relance aussitôt la réflexion. Celle-ci repart de plus belle, pendant des heures voire pour la nuit entière (ou plutôt ce qu’il en reste…). J’ai beau me rendre compte que le système n’est pas rentable (à supposer qu’il soit vivable à la longue), vu que (chez moi du moins) une réflexion prolongée sans le support de l’écriture finit par tourner en rond, par devenir souvent une sorte de remâchage le mauvais pli est bien pris, et a tendance à s’empirer. Il était devenu, il me semble, le grand foyer de dispersion d’énergie dans ma vie en ces dernières années, alors que d’autres mécanismes de dispersion se sont éliminés un à un, progressivement, au fil des ans. »

(Récoltes et semailles, II)

Une réflexion sur “« le sommeil, cet empêcheur de tourner en rond » (Alexandre Grothendieck)

  1. Merci de nous faire découvrir ce texte qui allie simplicité et profondeur. Une belle découverte qui donne envie de partir à l’assaut des 1000 pages !

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