Aharon Appelfeld: la maison originelle, souvenirs et littérature

La maison originelle, le retour vers elle, le séjour en elle, ont nourri chacun de mes livres. Je n’écris pas de livres de souvenirs. La conservation du souvenir et sa congélation sont des actes antiartistiques. Mes écrits ont poussé sur la terre constituée par ce qui m’est arrivé durant mon enfance et ma prime adolescence, et si je les ornais uniquement d’expériences plus tardives, sans la maison originelle – des fondations au toit -, je me noierais dans un océan de réflexions contradictoires. Je ne serais plus accaparé par la littérature mais par des réflexions et des tentatives vaines. La création est toujours liée au mystérieux regard de l’enfant en soi, dont l’empreinte ne peut être transformée par aucune ruse littéraire.

(Mon père et ma mère, trad. Valérie Zenatti)

Etgar Keret: la mémoire comme un vêtement

Etgar Keret, dans Correction automatique°, fait cette astucieuse comparaison entre la mémoire et un vêtement: 

Il serait temps de le reconnaître, les humains ne sont pas bons pour se souvenir des choses sans les déformer. Si le vécu est un vêtement, alors le souvenir est ce vêtement après avoir été maintes fois lavé sans suivre les conseils sur l’étiquette : les couleurs sont passées, il a rétréci, et l’odeur originale et nostalgique a depuis longtemps été remplacée par le parfum artificiel de l’assouplissant à l’orchidée.

Il y manque cependant quelque chose: c’est qu’avec le temps le vêtement en s’usant devient de plus en plus confortable. 

°Traduction Rosie Pinhas-Delpuech. Éditions de l’Olivier, 2025

Malamoud: récitation, tradition, histoire (« Par cœur » 2)

Cuire le monde: Rite et pensée dans l’Inde ancienne / Charles Malamoud.- La Découverte, 23 juin 2016. « Par cœur »

De même que le souvenir-désir et la réminiscence-reconnaissance sont tout le contraire de la mémoire biographique, de même la prééminence du par-cœur fait que la tradition ne se transforme pas en histoire. .

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Malamoud: autonomie des souvenirs (« Par cœur » 1)

Cuire le monde: Rite et pensée dans l’Inde ancienne / Charles Malamoud.- La Découverte, 23 juin 2016. « Par cœur »

La réflexion indienne sur la mémoire ne s’est pas préoccupée de la consécution ou de l’étagement des souvenirs, pour cette raison principalement qu’elle considère chaque souvenir comme un tout autonome.
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François Ricci, Aristote et l’olivier (3 remémorations pour 1 souvenir)

décembre 2020

Il y a des lacunes dans mon souvenir. J’étais allé le voir pour lui dire que j’abandonnais mon projet de maîtrise sur Hegel et Marx. Lire la suite

Alberto Caiero, la mémoire et la trace

Le souvenir est une trahison de la nature.
Parce que la nature d’hier n’est pas nature.
Ce qui a été n’est rien, et se souvenir est ne pas voir.

Passe, petit oiseau, passe, et apprends-moi à passer!

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L’amnésie infantile, les mots et les choses (César Aira)

Un adulte voit un oiseau voler, et son esprit immédiatement dit « oiseau ». L’enfant cependant voit quelque chose qui non seulement n’a pas de nom mais qui n’est même pas une chose sans nom: c’est (…) un continu sans limite qui participe de l’air, des arbres, de l’heure, du mouvement, de la température, de la voix de sa mère, de la couleur du ciel, de presque tout.

César Aira, A brick wall[1] : l’amnésie infantile[2] Lire la suite

Mémoire, Istanbul (sous la Süleymaniye)

La Fabrique cercamondine

Des villes, je les porte en moi comme des dessins, des maquettes, réductions ou algorithmes, prêtes à s’ouvrir sous mon regard aveugle, mon aveugle regard vers le dedans, vers ce grenier de ma mémoire où il avance comme dans le faisceau étroit d’une lampe torche parce qu’il n’y a jamais été installé d’électricité. Villes qui sont là, dans le grenier obscur de ma mémoire, en attente de lumière, lumière du souvenir et de l’effort.

C’est presque rien d’abord, une rue qui monte du quartier du port vers le sommet de la colline où trône[1] la mosquée de Soliman. Et de là la rue descend (oui je la descend à présent) longe d’abord les murs de pierres grises bien coupées qui enferment telles ou telles dépendances de la mosquée et puis des magasins, des magasins et des entrepôts, parce que la rue passe en dessous du Grand Marché, et sur la…

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Sebald (Austerlitz): parole, mémoire, écriture, langue

mrg | lettrure(s)

Austerlitz (traduction Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2002)

parole

p. 18. J’ai d’emblée été étonné de la façon dont Austerlitz élaborait ses pensées en parlant, de voir comment à partir d’éléments en quelque sorte épars il parvenait à développer les phrases les plus équilibrées, comment, en transmettant oralement ses savoirs, il développait pas à pas une sorte de métaphysique de l’histoire et redonnait vie à la matière du souvenir.

mémoire

pp. 30/1. Même maintenant où je m’efforce de me souvenir, où j’ai repris le plan en forme de crabe de Breendonk et lis en légende les mots anciens bureau, imprimerie, baraquements, salle Jacques-Ochs, cachot, morgue, chambre des reliques et musée, l’obscurité ne se dissipe pas, elle ne fait que s’épaissir davantage si je songe combien peu nous sommes capables de retenir, si je songe à tout ce qui sombre dans l’oubli chaque fois qu’une vie s’éteint, si je songe que le…

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Sebald (Austerlitz): parole, mémoire, écriture, langue

(Reporté depuis Lettrures le 22 août 2021)

Austerlitz (traduction Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2002)

parole

p. 18. J’ai d’emblée été étonné de la façon dont Austerlitz élaborait ses pensées en parlant, de voir comment à partir d’éléments en quelque sorte épars il parvenait à développer les phrases les plus équilibrées, comment, en transmettant oralement ses savoirs, il développait pas à pas une sorte de métaphysique de l’histoire et redonnait vie à la matière du souvenir.

mémoire

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