Walter Benjamin: la fin de l’expertise (« L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », pp. 48-49)

il n’existe guère aujourd’hui d’Européen qui, tant qu’il garde sa place dans le processus de travail, ne soit assuré en principe de pouvoir trouver, quand il le veut, une tribune pour raconter son expérience professionnelle, pour exposer ses doléances, pour publier un reportage ou un autre texte du même genre. Entre l’auteur et le public, la différence est en voie, par conséquent, de devenir de moins en moins fondamentale. (…) A tout moment, le lecteur est prêt à devenir écrivain.

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rappel préalable de la dialectique marxiste infrastructure / superstructure]

La transformation de la superstructure, plus lente que celle de l’infrastructure, a demandé plus d’un demi-siècle pour faire valoir dans tous les domaines culturels le changement des conditions de production. Sous quelle forme s’est fait ce changement, on ne peut le préciser qu’aujourd’hui. On est en droit d’attendre de ces précisions qu’elles aient aussi valeur de pronostic. Mais à ces attentes correspondent moins des thèses sur l’art prolétarien après la prise du pouvoir, encore moins sur la société sans classes, que des thèses sur les tendances évolutives de l’art dans les conditions présentes de la production. Leur dialectique n’est pas moins perceptible dans la superstructure que dans l’économie. C’est pourquoi on aurait tort de sous-estimer la valeur polémique de pareilles thèses. Elles écartent une série de concepts traditionnels – création et génie, valeur d’éternité et mystère -, dont l’application incontrôlée (et pour l’instant difficile à contrôler) conduit à l’élaboration des faits dans un sens fasciste. Dans ce qui suit, les concepts que nous introduisons dans la théorie de l’art se distinguent des concepts plus courants en ce qu’ils sont complètement inutilisables pour les buts du fascisme. En revanche ils sont utilisables pour formuler des exigences révolutionnaires dans la politique de l’art. (pp. 8-9)

Liquidation de la tradition

à l’époque de la reproductibilité technique, ce qui dépérit dans l’oeuvre d’art, c’est son aura. Ce processus a valeur de symptôme; sa signification dépasse le domaine de lart. On pourrait dire, de façon générale, que la technique de reproduction détache l’objet reproduit du domaine de la tradition. En multipliant les exemplaires, elle substitue à son occurence unique son existence en série. Et en permettant à la reproduction de s’offriir au récepteur dans la situation où il se trouve, elle actualise l’objet reproduit. Ces deux processus aboutissent à un puissant ébranlement de la chose transmise, ébranlement de la tradition qui est la contrepartie de la crise que traverse actuellement l’humanité et de son actuelle régénération. Ils sont en étroite corrélation avec les mouvements de masse contemporains. Leur agent le plus puissant est le film. Même considérée sous sa forme la plus positive, et précisément sous cette forme, on ne peut saisir la signification sociale du cinéma si l’on néglige son aspect destructeur, son aspect cathartique: la liquidation de l’héritage culturel. (pp. 16-17)

Web 2.0?

Avec l’extension de la presse, qui n’a cessé de mettre à la disposition du public de nouveaux organes, politiques, religieux, scientifiques, professionnels, locaux, on vit un nombre croissant de lecteurs passer – d’abord de façon occasionnelle – du côté des écrivains. La chose commença lorsque les journaux ouvrirent leurs colonnes à un « Courrier des lecteurs », et il n’existe guère aujourd’hui d’Européen qui, tant qu’il garde sa place dans le processus de travail, ne soit assuré en principe de pouvoir trouver, quand il le veut, une tribune pour raconter son expérience professionnelle, pour exposer ses doléances, pour publier un reportage ou un autre texte du même genre. Entre l’auteur et le public, la différence est en voie, par conséquent, de devenir de moins en moins fondamentale. Elle n’est plus que fonctionnelle et peut varier d’un cas à l’autre. A tout moment, le lecteur est prêt à devenir écrivain. Avec la spécialisation croissante du travail, chacun a dû devenir, tant bien que mal, un expert en sa matière – fût-ce une matière de peu d’importance – et cette qualification lui permet d’accéder au statut d’auteur. En Union soviétique, le travail lui-même prend la parole. Et sa représentation verbale constitue une partie du savoir-faire requis par son exercice même. La compétence littéraire ne repose plus sur une formation spécialisée, mais sur une formation polytechnique, et elle devient de la sorte un bien commun. (pp. 48-49)

demi-experts et tests

C’est un fait lié à la technique du cinéma comme à celle du sport que tous les spectateurs assistent en demi-experts aux performances exhibées par l’un comme par l’autre. (p. 46)

En élargissant le champ soumis aux tests, le rôle des appareils par rapport à l’interprète est analogue à celui que jouent, pour l’individu, les conditions économiques qui ont augmenté de façon extraordinaire les domaines où il peut être testé. Ainsi voit-on les épreuves d’aptitude professionnelle prendre de plus en plus d’importance. Elles consistent en un certain nombre de découpages opérés dans les performances de l’individu. Prise de vues cinématographique, épreuve d’aptitude professionnelle, l’une et l’autre se déroulent devant un comité d’experts. Le chef opérateur, au studio, occupe exactement la même place que le directeur des tests, lors de l’examen d’aptitude professionnelle. (p. 38 (n.))

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