Les insectes écriture (Ossip Mandelstam)

Voyage en Arménie / Ossip Mandelstam. (Trad. de Louis Bruzon, revue par André du Bouchet.- Mercure de France, 2005.):

A l’extrémité du champ détrempé, un phare dans la distance faisait tourner son diamant têt.
Et, tout d’un coup, je ne sais comment, m’est apparue la volte de mort, la danse nuptiale des insectes phosphorescents. A première vue, on eût dit que venaient de s’allumer des bouts divagants, et à peine perceptibles, de cigarettes excessivement fines, mais leurs paraphes étaient par trop audacieux, libres, désinvoltes.
Le diable seul sait où le vent les emportait!
A y voir de plus près: éphémères, survoltés, délirants, se convulsent, déchiffrent, absorbent la ténébreuse lecture prescrite du moment.
Notre grand corps volumineux se réduit en poussière exactement de la même façon, et notre activité se convertira en simple déchaînement de signaux si, après nous, nous ne laissons aucune preuve substantielle de notre existence.
Il est effrayant de vivre dans un monde constitué uniquement d’exclamations et d’apostrophes!

En parallèle au beau texte que CJ a mis en ligne sur son site dimanche dernier (extrait après le saut).

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De l’orthographe 2 (commentaire de commentaires)

:-)) Non, non, je ne me propose pas de réformer l’orthographe! Je n’ai pas les convictions de Mario. C’est juste que la rêverie sur une réforme radicale de l’orthographe est chez moi récurrente, et utile dans la mesure où c’est une façon d’examiner la langue et l’orthographe existante.
Je ne prétends pas proposer l’orthographe occitane comme un modèle pour une réforme de l’orthographe française: le chef-d’oeuvre d’Alibert et de ses disciples doit beaucoup à la particularité de la langue occitane, non centralisée, actualisée en nombreux dialectes très divers, et cependant fondamentalement (structures, syntaxes…) cohérente. Lorsque je dis que l’orthographe occitane est exemplaire, c’est dans la mesure où elle est révélatrice des réalités et des dimensions possibles d’une orthographe.
J’aurais pu parler de l’orthographe chinoise (impossibilité pour le pinyin de détrôner les caractères malgré la volonté initiale du pouvoir chinois) ou des orthographes sémitiques qui, en l’absence (normale) de notation des voyelles brêves, fonctionne comme un rappel de réalités linguistiques déjà maîtrisées…
Ce que tous ces exemples montrent, c’est la consistance d’une langue écrite distincte de la langue parlée. J’aimerais d’ailleurs mieux comprendre, Christian, comment tu articules cette réalité avec ton entreprise d’ateliers de lecture.
(Bon, encore un commentaire trop long… Je vais faire un billet et mettre des trackbacks!)

De l’orthographe et de l’accent (commentaire)

Je suis allé voir sur le site ortograf. Depuis toujours je réfléchis ou fantasme sur ce que pourrait être une réforme radicale de l’ortographe, j’ai donc trouvé intéressante la tentative proposée ici. Je remarque qu’elle suppose une prononciation fixée et un usage écrit identique calcable sur un usage oral (fixé), ce qui est évidemment contestable.
Dans la tentative d’ortograf la naïveté des présupposés se marque particulièrement par le sort qui est fait au e muet. Lequel est théoriquement aboli mais ressurgit pour traiter la question des nasales. Comme Mario Pérard n’a pas recours au tilde espagnol (ou à une autre solution analogue) pour noter les nasales, il est obligé de réintroduire le e muet pour distinguer « un » de « une » qui devraient selon son système s’écrire de la même façon.
Mais le e muet a d’autres enjeux, j’en vois deux: il n’est pas muet partour et en particulier il reste présent dans le français parlé avec l’accent occitan (méridional, « marseillais ») et par ailleurs, comme nous l’avons appris à l’école, il est nécessaire pour réintroduire leur prosodie aux vers français classiques (ce qui fait qu’une manière de dire naturellement les vers de la tragédie classique, entre autres, est de les dire avec l’accent occitan, ce qui fonctionnerait presque parfaitement si le préjugé ne ridiculisait l’accent occitan).

(Commentaire mis sur Reprises)

Platon sur l’écriture (Phèdre 274-276)

Socrate – Il nous reste, n’est-ce pas, à examiner la convenance ou l’inconvenance qu’il peut y avoir à écrire, et de quelle manière il est honnête ou indécent de le faire?

Phèdre – Oui.

Socrate – Sais-tu, à propos de discours, quelle est la manière de faire ou de parler qui te rendra à Dieu le plus agréable possible?

Phèdre – Pas du tout. Et toi?

Socrate – Je puis te rapporter une tradition des anciens, car les anciens savaient la vérité. Si nous pouvions la trouver par nous-mêmes, nous inquiéterions-nous des opinions des hommes?

Phèdre – Quelle plaisante question ! Mais dis-moi ce que tu prétends avoir entendu raconter.

Socrate – J’ai donc oui dire qu’il existait près de Naucratis, en Égypte, un des antiques dieux de ce pays, et qu’à ce dieu les Égyptiens consacrèrent l’oiseau qu’ils appelaient ibis. Ce dieu se nommait Theuth. C’est lui qui le premier inventa la science des nombres, le calcul, la géométrie, l’astronomie, le trictrac, les dés, et enfin l’écriture. Le roi Thamous régnait alors sur toute la contrée ; il habitait la grande ville de la Haute-Égypte que les Grecs appellent Thèbes l’égyptienne, comme ils nomment Ammon le dieu-roi Thamous. Theuth vint donc trouver ce roi pour lui montrer les arts qu’il avait inventés, et il lui dit qu’il fallait les répandre parmi les Égyptiens. Le roi lui demanda de quelle utilité serait chacun des arts. Le dieu le renseigna ; et, selon qu’il les jugeait être un bien ou un mal, le roi approuvait ou blâmait. On dit que Thamous fit à Theuth beaucoup d’observations pour et contre chaque art. Il serait trop long de les exposer. Mais, quand on en vint à l’écriture: « Roi, lui dit Theuth, cette science rendra les Égyptiens plus savants et facilitera l’art de se souvenir, car j’ai trouvé un remède pour soulager la science et la mémoire. »
Et le roi répondit:
« Très ingénieux Theuth, tel homme est capable de créer les arts, et tel autre est à même de juger quel lot d’utilité ou de nocivité ils conféreront à ceux qui en feront usage. Et c’est ainsi que toi, père de l’écriture, tu lui attribues, par bienveillance, tout le contraire de ce qu’elle peut apporter. [275] Elle ne peut produire dans les âmes, en effet, que l’oubli de ce qu’elles savent en leur faisant négliger la mémoire. Parce qu’ils auront foi dans l’écriture, c’est par le dehors, par des empreintes étrangères, et non plus du dedans et du fond d’eux-mêmes, que les hommes chercheront à se ressouvenir. Tu as trouvé le moyen, non point d’enrichir la mémoire, mais de conserver les souvenirs qu’elle a. Tu donnes à tes disciples la présomption qu’ils ont la science, non la science elle-même. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants de commerce incommode, des savants imaginaires au lieu de vrais savants. »

Phèdre – Il t’en coûte peu, Socrate, de proférer des discours égyptiens ; tu en ferais, si tu voulais, de n’importe quel pays que ce soit.

Socrate – Les prêtres, cher ami, du sanctuaire de Zeus à Dodone ont affirmé que c’est d’un chêne que sortirent les premières paroles prophétiques. Les hommes de ce temps-là, qui n’étaient pas, jeunes gens, aussi savants que vous, se contentaient dans leur simplicité d’écouter un chêne ou une pierre, pourvu que ce chêne ou cette pierre dissent la vérité. Mais à toi, il importe sans doute de savoir qui est celui qui parle et quel est son pays, car tu n’as pas cet unique souci : examiner si ce qu’on dit est vrai ou faux.

Phèdre – Tu as raison de me blâmer, car il me semble aussi qu’il faut penser de l’écriture ce qu’en dit le Thébain.

Socrate – Ainsi donc, celui qui croit transmettre un art en le consignant dans un livre, comme celui qui pense, en recueillant cet écrit, acquérir un enseignement clair et solide, est vraiment plein de grande simplicité. Sans contredit, il ignore la prophétie d’Ammon, s’il se figure que des discours écrits puissent être quelque chose de plus qu’un moyen de réveiller le souvenir chez celui qui déjà connaît ce qu’ils contiennent.

Phèdre – Ce que tu dis est très juste.

Socrate – C’est que l’écriture, Phèdre, a, tout comme la peinture, un grave inconvénient. Les oeuvres picturales paraissent comme vivantes ; mais, si tu les interroges, elles gardent un vénérable silence. Il en est de même des discours écrits. Tu croirais certes qu’ils parlent comme des personnes sensées ; mais, si tu veux leur demander de t’expliquer ce qu’ils disent, ils te répondent toujours la même chose. Une fois écrit, tout discours roule de tous côtés ; il tombe aussi bien chez ceux qui le comprennent que chez ceux pour lesquels il est sans intérêt ; il ne sait point à qui il faut parler, ni avec qui il est bon de se taire. S’il se voit méprisé ou injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père, car il n’est pas par lui-même capable de se défendre ni de se secourir.

Phèdre – Tu dis encore ici les choses les plus justes.

Socrate – [276] Courage donc, et occupons-nous d’une autre espèce de discours, frère germain de celui dont nous avons parlé ; voyons comment il naît, et de combien il surpasse en excellence et en efficacité le discours écrit.

Phèdre – Quel est donc ce discours et comment racontes-tu qu’il naît?

Socrate – C’est le discours qui s’écrit avec la science dans l’âme de celui qui étudie ; capable de se défendre lui-même, il sait parler et se taire devant qui il convient.

Phèdre – Tu veux parler du discours de l’homme qui sait, de ce discours vivant et animé, dont le discours écrit, à justement parler, n’est que l’image ?

(Traduction de Mario Meunier, 1922)

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Husserl, l’Origine de la géométrie: sur l’écriture

L’Origine de la géométrie / Edmund Husserl; trad. et intr. / Jacques Derrida.- PUF, 1962

pp. 185-187:

Maintenant, il faut encore considérer que l’objectivité de la formation idéale n’est pas encore parfaitement constituée par une telle transmission actuelle [linguistique] de ce qui est produit originairement en quelqu’un, à quelqu’un d’autre qui le reproduit originairement. Il lui manque la présence perdurante des « objets idéaux », qui persistent aussi dans les temps où l’inventeur et ses associés ne sont plus éveillés à un tel échange ou en général quand ils ne sont plus en vie. Il lui manque l’être-à-perpétuité, demeurant même si personne ne l’a effectué dans l’évidence.
C’est la fonction décisive de l’expression linguistique écrite, de l’expression qui consigne, que de rendre possible les communications sans allocution personnelle, médiate ou immédiate, et d’être devenue, pour ainsi dire, communication sur le mode virtuel. Par là, aussi, la communautisation de l’humanité franchit une nouvelle étape. Les signes graphiques, considérés dans leur pure corporéité, sont objets d’une expérience simplement sensible et se trouvent dans la possibilité permanente d’être, en communauté, objets d’expérience intersubjective. Mais en tant que signes linguistiques, tout comme les vocables linguistiques, ils éveillent leurs significations courantes. Cet éveil est une passivité, la signification éveillée est donc passivement donnée, de façon semblable à celle dont toute activité, jadis engloutie dans la nuit, éveillée de façon associative, émerge d’abord de manière passive en tant que souvenir plus ou moins clair. Comme dans ce dernier cas, dans la passivité qui fait ici problème, ce qui est passivement éveillé doit être pour ainsi dire, converti en retour dans l’activité correspondante: c’est la faculté de réactivation, originairement propre à tout homme en tant qu’être parlant. Ainsi s’accomplit donc, grâce à la notation écrite, une conversion du mode-d’être originaire de la formation de sens, [par exemple] dans la sphère géométrique, de l’évidence de la formation géométrique venant à énonciation. Elle se sédimente, pour ainsi dire. Mais le lecteur peut la rendre de nouveau évidente, il peut réactiver l’évidence.

L’Agora: Hommage de Illich à Ellul

Hommage à Jacques Ellul par Ivan Illich. L’Agora, 1994

Votre oeuvre, de vos premiers essais sur l’histoire des institutions et de la propagande jusqu’aux ouvrages d’exégèse si poétiques qui la couronnent, m’a convaincu de ceci: le caractère unique de l’âge dans lequel nous vivons ne peut être saisi rationnellement si l’on ne comprend pas qu’il est le résultat d’une corruptio optimi quae est pessima. C’est pourquoi le régime de la technique, sous lequel le paysan mexicain vit tout comme moi, soulève trois questions profondément troublantes: « Ce régime a donné naissance à une société, à une civilisation, à une culture en tout, mais vraiment en tout, inverses de ce que nous lisons dans la Bible, de ce qui est le texte indiscutable à la fois de la Torah, des prophètes de Jésus et de Paul ».

Il n’est pas possible d’expliquer ce régime si l’on ne le comprend pas génétiquement comme une résultante du christianisme. Ses traits principaux doivent leur existence à la subversion que je viens d’évoquer. Parmi les caractères distinctifs et décisifs de notre âge, beaucoup sont incompréhensibles si l’on ne voit pas qu’ils sont dans le droit fil d’une invitation évangélique, à chaque homme, qui a été transformée en un but institutionnalisé, standardisé et géré. Et enfin, on ne peut analyser correctement ce « régime de la technique » au moyen des concepts courants qui suffisent à l’étude des sociétés anciennes. Un nouvel ensemble de concepts analytiques devient nécessaire pour discuter l’hexis (l’état) et la praxis de notre époque qui vit sous l’égide de la technique. De façon directe et éclairante, vous nous avez mis face à ce triple aspect de l’« extravagance historique tout à fait singulière ». Quel que soit le vocable dont on la recouvre – la culture, la société, le monde -, notre condition humaine actuelle est une excroissance du christianisme. Tous ses éléments constitutifs sont des perversions. Alors qu’ils doivent leur existence à la Révélation, ils en sont pour ainsi dire le complément inversé, le négatif des dons divins. Et, en raison de ce que vous qualifiez d’étrangeté historique, ils sont souvent réfractaires à la critique philosophique ou éthique. Cela se révèle clairement lorsque nous voulons soulever des questions éthiques.

La subversion de la parole par l’oeil conquérant a une longue histoire qui fait partie de l’histoire de la technique dans le monde du christianisme. Au Moyen Âge, cette subversion a pris la forme d’un remplacement du livre écrit pour l’écoute par le texte qui s’adresse au regard. Parallèlement à cette mutation technogène des priorités sensorielles s’effectuait la séparation entre la chapelle, lieu de la lecture spirituelle, et l’aula, lieu de la scolastique – une séparation qui marquait la fin d’un millénaire de lectio divina. L’éclipse de la culture des sens. Et, concomitante de cette séparation architectonique entre le lieu de prière et le lieu d’étude, apparut la première – à ma connaissance – institution d’études supérieures, l’Université, dans laquelle la culture de la pensée abstraite éclipse totalement la culture des sens.

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Lettre d’un roi assyrien du VIIe siècle (Asurbanipal)

(in: Au temps de Babylone [= Babylonians] / Harry W.F. Saggs.- Philippe Lebaud, 1998 [1995]; p. 197)

Commandement royal à Kudurranu. […] Sitôt que tu auras vu ma tablette, prends
[3 noms d’hommes] et les scribes connus de toi à Borsippa, et rassemble toutes les tablettes qui sont dans leurs maisons, et toutes les tablettes déposées dans le temple Ezida, [en particulier]:
tablettes [avec textes] pour les amulettes destinées au roi;
[tablettes] pour [rituels de purification dans] fleuves pour les jours du mois de Nisan,
amulettes pour [rituels de purification dans] fleuves pour le mois de Tashrit,
et pour [rituel appelé] « maison-de-l’eau -jaillissante »;
amulettes pour [rituels de purification dans] fleuves; […]
quatre amulettes de pierre pour le chevet du lit royal et pour son pied; […]
l’incantation « Puissent Ea et Marduk donner parfaite sagesse »;
toutes les séries disponibles sur bataille, avec autant de leurs tablettes additionnelles à colonne unique qu’il y a;
[l’incantation] « Que dans bataille une flèche ne vienne toucher aucun homme »;
[les séries] « Revenir au palais d’une tournée dans le désert »;
les rituels « Elever la main »;
[toute] inscription [sur les propriétés] de pierres et ce qui est bon pour la royauté; […]
et toutes tablettes rares qui sont connues de toi et qui ne sont pas en Assyrie.
Recherche-les soigneusement et envoie-les moi. […] Nul ne doit te refuser une tablette. Et s’il existe quelque tablette ou rituel que je n’ai pas mentionné à toi et que tu en aies connaissance et qu’elle soit bonne pour mon palais, recherche-la, confisque-la et envoie-la moi.

Au temps de Babylone [= Babylonians] / Harry W.F. Saggs.- 1995

Au temps de Babylone [= Babylonians] / Harry W.F. Saggs.- Philippe Lebaud, 1998 [1995]:

1. (cf. p. 109) Histoire de Shulgi, fils d’Urnammu, fondateur de la dynastie d’Ur III (trad. 2113-2006), qui régna 48 ans et organisa une intense activité littéraire au service de sa politique. La dynastie d’Ur III, sumérienne, succède, après la période intermédiaire de domination des Gutis, au premier empire humain recensé, celui de Sargon d’Akkad (2371-2316).
Dans les textes retrouvés, Shulgi est présenté comme un surhomme, ou du moins comme un homme parfait. Mais l’important, est que sa biographie mentionne sa formation à la « maison des tablettes » (edubba), i-e l’école des scribes, et son excellence à cette occasion. Ce qui montre, que dans ce contexte au moins, la pratique de l’écriture et la formation de scribe n’est pas réservé à un caste étroite séparée de l’exercice direct du pouvoir.
Entre autres qualités remarquables, il fut le premier souverain connu à publier une collection de lois, explicitement destinée à protéger le faible contre le fort, et où, à la différence de la collection d’Hammurabi et de ce qu’on trouve dans la Bible, ce n’est pas la loi du talion qu’on voit fonctionner mais un principe de compensation pécuniaire.
Je me demande dans quelle mesure la mention de la formation de scribe ne constitue pas un trait particulariste sumérien. Pour ce que j’en ai compris, la dynastie d’Ur III constitue la dernière affirmation politique sumérienne (toujours la question du degré de fusion entre les Sumériens et les Sémites).

2. p. 196 sq. sur la fameuse « bibliothèque de Ninive ». La récolte de tablettes est liée à une conception magique. Le mode de constitution des grandes bibliothèques hellénistiques devient intermédiaire entre ce qu’est pour nous la constitution d’une bib. et cette récolte assyrienne qui semble bien destinée plus à capitaliser des puissances qu’à constituer un fonds consultable.(> citation)

Les Savoirs de l’Ecriture en Grèce ancienne / Marcel Détienne et al.- PUL, 1988.

Recueil d’articles, dont un repris par Svenbro dans Phrasikleia.Introduction de Détienne:

p.10: Les américanistes qui analysent la civilisation des Andes nous découvrent l’existence dans l’ancien Pérou d’un Etat centralisé, avec une administration complexe, des capacités de compter, de mesurer, de calculer au point de faire non seulement des observations astronomiques mais de véritables théories (n1).
Parallèlement, un certian nombre d’indianistes, observant le caractère tardif des marques d’écriture – le IIIème siècle avant notre ère -, sont enclins à penser que l’ensemble des savoirs de l’Inde a été produit et transmis par la mémoire sans support graphique (n2).

n1: R. Tom Zuidema, « Bureaucracy and Systematic Knowledge in Andean Civilization », dans R.L. Rosaldo (éd.), The Inca and Aztec States, 1400-1800, New York, 1982, pp. 419-458.
n2: Frits Staal, The Science of ritual, Bhandarkar Oriental Research Institute, Poona, 1982
« The fidelity of oral tradition and the origins of science » (à paraître)
Ch. Malamoud, « Hiérarchie et technique. Observations sur l’écrit et l’oral dans l’Inde Brâhmanique », dans P. Achard, MP. Gruenais, D. Jaulin (éds.), Histoire et linguistique, Paris, MSH, 1985, pp. 115-122.

p. 13: Aucune réflexion sur l’écriture ne peut faire l’économie de sa relation au pouvoir politique, ni de sa fonction dans les structures de l’Etat. La manière grecque d’en user se goûte assurément mieux en compagnie d’autres, celles en particulier, familières aux civilisations du Proche-Orient, là où la souveraineté n’a jamais cessé d’être lettrée ni de faire grand cas de l’écriture dans la conduite des affaires.

Le grand style hittite, par exemple (n3). Un royaume d’abord modeste, des guerriers conquérants, ignorants et même indifférents à l’écriture fort prisée dans les administrations mésopotamiennes. Très vite, la centralisation devient urgente, et, devant la menace de voisins entreprenants – les Hurrites -, c’est, vers le XVIème siècle, le raid de Mursili. Bousculant les Mittaniens, poussant jusqu’à Babylone, et ramenant sur sa charrerie, avec le reste du butin, une école de scribes au complet. Des techniciens de l’écriture qui vont s’installer dans la capitale hittite, sous la surveillance du roi, l’appareil administratif, la chancellerie qui va moderniser l’Etat hittite, le rendre compétitif en face de ses rivaux et de leurs traditions scripturales. […] L’écriture et ses gens: les scribes aussitôt cloîtrés dans le palais royal.
En même temps, sur l’atelier des scribes et sur leurs maîtres temporels règne l’autorité absolue des dieux-scripteurs, les puissances divines qui ont imaginé les signes graphiques, dessiné le monde et écrit ses commencements immuables. De façon exemplaire, le hittite cunéiforme est un type d’écriture qui renforce le caractère monarchique de l’état, l’exercice solitaire et secret du pouvoir.

n3: E. Laroche, « Les Hittites, peuple à double écriture », dans L’écriture et la psychologie des peuples (Centre international de synthèse, XXIIème semaine), Paris, 1963, pp. 103-113.
cf. aussi: J.M. Durand, « Diffusion et pratiques des écritures cunéiformes au Proche-Orient ancien », dans A.M. Christin (éd.), L’Espace et la lettre, Paris, 1977, pp. 13-55.([93298)

// utilisation du linéaire B.