Pouvoir et persuasion dans l’Antiquité tardive: vers un Empire chrétien / Peter Brown, trad. Pierre Chuvin.- Paris: Le Seuil, 1998 (1992)
Ma principale lecture autour du mois de mars dernier (j’avais envie de me faire plaisir). Il décrit comment au cours des 4e et 5e siècle de l’ère commune, la christianisation de l’Empire romain correspond à un changement de paradigme quant à la sociologie politique de l’ensemble impérial, particulièrement s’agissant des élites et des instruments culturels de leur sélection et de leur légitimation.
Je fais des extraits séparés de chaque chapitre par commodité même si les deux premiers chapitres sont étroitement liés, décrivant le paradigme de départ et ce qui le met en crise, les deux chapitres suivants décrivant le nouveau paradigme chrétien qui se met en place.
J’activerai les liens de la table des matières ci-dessous au fur et à mesure de la publication des extraits:
- La devotio: l’autocratie et les élites
- La paideia et le pouvoir
- Pauvreté et pouvoir
- Vers un Empire chrétien
Après le saut, quelques réflexions dilettantes concernant, à propos de Peter Brown, l’écriture de l’histoire et particulièrement 2 anciens tabous la concernant.
Du temps de ma jeunesse estudiantine, le consensus était répandu que l’histoire était menacée par deux prétentions dont il importait absolument de se garder:
– celle de faire revivre le passé,
– celle d’en tirer des enseignements pour le présent.
Ces deux travers étaient ceux de l’histoire dépassée, pré-scientifique.
Si j’apprécie autant Peter Brown, si je tire tant de plaisir à sa lecture, c’est précisément, me semble-t-il, en violant allègrement dans ces deux tabous. Les analyses de Peter Brown viennent à intervalles s’illustrer de l’évocation de faits particuliers, directement tirés du matériel documentaire, évocations qui ancrent comme autant de points de capiton ces analyses dans une concrétude imaginée. L’effet est alors saisissant. Et il l’est d’autant plus que Peter Brown ne fait pas de l’histoire évènementielle et qu’il ne suit pas une ligne narrative continue (même si l’effet final est souvent d’une macro-narration) et qu’il ne s’attarde généralement pas sur les faits particuliers qu’il produit. Cette puissance d’évocation fait que je trouve chez lui le plaisir d’imagination que j’ai de plus en plus de mal à trouver dans les ouvrages de fiction.
Il ne me semble pas, pour autant, que Peter Brown fasse de la mauvaise histoire. Peut-être parce que l’idée que l’histoire puisse être une science exacte est illusoire, qu’elle reste essentiellement une science narrative, que dans cette mesure l’imagination lui est une ressource indispensable et que l’évocation du passé, loin de parasiter la production d’un savoir historique, par le contre-point qu’elle fait aux analyses abstraites vient les complexifier en sorte que, par un paradoxe apparent, l’imagination, couplée à la matérialité du matériel historique, par l’exigence qu’elle suppose de cohérences vraisemblables, se produit en face de l’élaboration abstraite comme un effet de réel.
D’autre part, concernant le 2e tabou, comme l’émancipation du discours historique de son tissu idéologique contemporain ne peut prendre la forme d’une coupure épistémologique mais celle d’un travail jamais achevé, ce travail a un effet en retour sur ce tissu idéologique, effet particulièrement riche et suggestif lorsque ledit discours historique ne s’interdit pas les ressources de l’imagination et de la reconstruction narrative.
Peter Brown, cependant, se garde bien de vouloir tirer pour le présent des leçons du passé qu’il étudie (de même qu’il s’adonne peu à l’historiographie, qui me détourne souvent de la lecture d’autres bons historiens) mais rien, dans son texte, n’interdit à son lecteur de le faire. Ainsi, par exemple, lisant « Pouvoir et persuasion », j’ai eu l’impression d’en apprendre sur notre système, scolaire et culturel, de sélection des élites (dans la suite de discussions sur l’école et des réflexions induites par la lecture des différents textes sur l’orthographe dont j’ai fait des extraits ici), cela surtout dans la première partie du livre, puis il m’a semblé mieux comprendre certaines problématiques politiques et culturelles du monde musulman, spécialement du monde moyen-oriental (qui est l’aire géographique la plus étudiée par Peter Brown). Non seulement s’agissant de l’importance généalogique d’un moment historique commun aux sociétés chrétiennes occidentales et aux sociétés musulmanes moyen-orientales mais encore à propos du rapport entre les élites occidentalisées et les organisations religieuses en quête du pouvoir.