Pierre Bourdieu et le latin

Deux très intéressants billets de Philippe Cibois sur son carnet de recherche, « la question du latin »:

où il montre que si Bourdieu critique dans la Reproduction l’enseignement du latin comme dispositif de production de distinction, ça ne l’empêche pas de supposer à ces lecteurs une certaine connaissance de cette langue.

bien que Bourdieu dise que l’apprentissage des langues anciennes est un gaspillage ostentatoire (…), il suppose de fait une connaissance du latin pour être compris.

Le premier billet, où j’avais mis en commentaire cette citation d’Alain (Propos sur l’éducation):

Napoléon, je crois bien, a exprimé en deux mots ce que tout homme doit savoir le mieux possible : géométrie et latin.

m’a donné l’occasion d’un échange avec l’auteur (que je mets ici après le saut pour mémoire), où il ne s’agit pas de Bourdieu mais, à partir du cas du latin, des objectifs de l’éducation secondaire, une question qui m’intéresse dans la mesure où il me semble, depuis ma pratique de formation à la littératie informationnelle, que les nouvelles conditions de diffusion et d’accès à l’information, devraient amener à la reformuler radicalement (et l’on apercevrait alors peut-être certaines perspectives paradoxales).

En gros je tends à reprocher à Philippe Cibois de se laisser gagner par une conception de l’éducation qu’il critique pourtant chez Bourdieu et dont il montre que celui-ci, pratiquement, ne la suit pas.

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Pierre Bourdieu: politique et éthique

[A propos d’une interview de Pierre Bourdieu par Pierre Carles et de sa manipulation. Voir les circonstances sur Cerca blogue!.]

Restitué dans son intégralité, le propos de Pierre Bourdieu s’avère beaucoup plus complexe et moins « monnaiyable » politiquement que ce que sa version courte pouvait laisser croire. Et du coup beaucoup plus intéressant. Je me souviens d’entretiens que Pierre Bourdieu avait donnés au cours d’une série d’émissions sur France-Culture, il y a deux ou trois ans, et que je m’étais dit alors que sa démarche intime était moins politique que spirituelle, que ce qui le motivait était une ascétique (sociologie réflexive), sur un fond assez janséniste (c’est-à-dire presque calviniste/puritain mais plus centré sur soi que sur la communauté).

Contrairement à ce qu’il dit explicitement, le critère qui sépare l’homme de gauche de l’homme de droite semble, dans le cours de l’entretien, moins le rapport à l’ordre que le rapport au pouvoir et à son exercice et du coup gauche/droite deviennent moins des catégories politiques que des catégories éthiques. Et l’application politique de son propos devient problématique: comment comprendre ce qu’il dit de mai 68, « révolution ratée »? qu’est-ce qu’une révolution réussie? En le suivant on dirait volontiers qu’une révolution réussie c’est l’application d’un programme de gauche par des hommes intrinsèquement de droite. Et je continue de trouver sa logique « classante » glaçante, grosse de dangers possibles si elle trouvait une application politique. (Je ne veux pas dire que la pensée de Bourdieu ne devrait pas être appliquée à la politique, ce qui me semble, c’est que son centre de gravité n’est pas politique et que dans cette mesure son application à la politique est délicate, facilement dévoyée comme le montre le clip Daily Motion et l’utilisation qui en est faite ici ou ).