L’Islam paisible: Rochdy Alili

J’ai un peu l’impression que, d’après ce qu’on peut savoir en tant qu’historien et d’après ce qu’ont raconté bon nombre de voyageurs occidentaux dans le monde musulman… vous allez me dire que peut-être je suis un peu idéaliste et angélique, mais j’ai un peu l’impression que dans les vieilles cités musulmanes avant les agressions dont le monde musulman a été victime, d’une certaine manière dans ces sociétés, malgré toutes les injustices, malgré toutes les violences, tous les manques, et bien il régnait une sorte de plénitude apaisée, je dirais presque paresseuse, et ironique, et je me dis que, peut-être, dans ces cités-là, il était possible d’approcher ce que j’appelerais, pour ne pas aller plus loin, une pleine jouissance de l’être, une manière d’être au monde avec quelque chose qu’on pouvait appeler de la sérénité, dans une discipline rituelle apaisante et un quotidien où chaque geste, chaque parole, chaque jour a du sens, avait son sens et sa juste place dans un dessein, le dessein divin, si vous voulez, dans un projet qui dépassait l’homme mais où néanmoins aucune personne n’était écartée.

Finalement, c’est quoi, l’expérience méditative, l’expérience de la prière, qui est quand même le chemin essentiel? Ce n’est pas quelque chose qui nous amène à parler de Dieu, ce n’est pas quelque chose qui nous amène à parler à Dieu, c’est quoi concrêtement? C’est un homme, c’est l’homme qui institue simplement un interlocuteur intime qu’il nomme Dieu, à qui il s’adresse de diverses manières, le plus souvent stériles. De ce moment il se trouve en face de quelque chose d’insaisissable, quelque chose d’invisible, de muet, de silencieux mais quelque chose qui parfois, par éclairs soudains, fugitivement, peut se goûter, c’est le terme qu’utilisent les mystiques, peut se goûter au plus profond de soi et au plus loin dans l’univers. Alors l’homme qui a fait cette démarche sait que Celui qu’il a nommé Dieu est bien Dieu.

(Rochdy Alili, interrogé par Jacques Munier sur France-Culture, dans les Chemins de la Connaissance, émission du 15 février dernier. Rochdy Alili est l’auteur de l’Islam à l’usage de ma fille, de l’Eclosion de l’islam et de Qu’est-ce que l’Islam?.)


Cultures d’Islam: Ellul, Besançon & Christian Jambet

Dans les deux dernières émissions « Cultures d’Islam », Abdelwahab Meddeb reçoit Christian Jambet. Il faut écouter, tant qu’elle reste en ligne, la première, du 12 décembre, où Christian Jambet et Abdelwahab Meddeb reviennent sur l’ouvrage de Jacques Ellul préfacé par Alain Besançon dont j’avais fait une série de posts en août dernier. « Tautologie » dit bien l’essentiel de ce qu’il y a à dire. Il y a une chose cependant que Jambet ne pointe pas et qui m’avait frappée comme significative, c’est la prise en otage du judaïsme effectuée par Ellul dans son livre.

D’un point de vue moins ponctuel, Meddeb et Jambet voient dans ces interventions les témoins d’un mouvement qui se renforce dans la pensée française, mouvement qui vise à faire de l’Islam comme tel une idéologie nuisible, qui n’appelle qu’un rejet radical. Cette tendance à ceci d’effrayant qu’elle participe, comme tous les bellicismes, de la catégorie des prophéties auto-réalisatrices. Il faudrait faire la chronique de l’autoproclamée « guerre des civilisations » pour y reconnaître comment se construisent de façon de plus en plus irreconciliable deux camps ennemis et symétriques. Pour l’autre côté voir MEMRI TV.

Original sur Cerca blogue!

Céder sur son désir / Hallaj

Akhbar Al-Hallaj / Louis Massignon.- Vrin, 1975.
16.

Mon compagnon de coupe est hors de toute suspicion,
Quant à son intention de me léser :
Il me convia, puis me salua,
Comme l’hôte fait à son hôte;
Mais sitôt que la coupe circula,
Il fit apporter le tapis de supplice et le glaive…
Tel est le sort de qui boit le Vin,
En plein été, en compagnie du Monstre.

Arabes et Musulmans

Retrouvé avant-hier soir, en testant des feuilles de style, une citation que je cherche depuis des mois dans les mauvais livres et que j’avais relevée en septembre 1999!
Elle illustre bien la dualité de l’expansion de l’Islam, à la fois le fait, ethnique, des Arabes et de peuples qui se sont associés à eux et le fait d’une religion universelle qui ne fait pas acception de nation.
Naipaul néglige complètement, il me semble, cette réalité fondatrice dans ses appréciations de l’Islam non arabe.
Voir la citation dans les notes de lecture (septembre 1999).

Louis Massignon: Akhbar Al-Hallaj

Akhbar Al-Hallaj / Louis Massignon.- Vrin, 1975. P. 136:
« me détachant du groupe, je lui dis: Maître, pourquoi tuerions-nous un homme qui prie, jeûne et récite le Qorân? Et lui de répondre: La raison pour laquelle le sang doit être épargné est extérieure à la prière, au jeûne et à la récitation du Qorân. Tuez-moi donc et vous en serez récompensés. Et moi, je serai enfin délivré; car vous aurez été des combattants pour la Foi (mujâhidûn), et moi je serai mort martyr. »

Jacques Ellul (suite)

Je vais voir sur la toile ce que le livre d’Ellul a produit comme effets. J’y trouve assez massivement des réactions positives (en particulier une recommandation de Max Gallo sur le site France-Cul). Ce que je trouve assez surprenant.
Un article d’Eric Conan sur le site de l’Express qui pose bien le contexte.

Jacques ELLUL: Islam et judéo-christianisme (citation)

p. 75:
« la Bible, à l’encontre du Coran, nous parle d’un Dieu d’Amour, en qui le Père et le Fils s’aiment d’un amour éternel, d’un Dieu qui a choisi d’exercer sa toute-puissance transcendante dans l’extrême abaissement et l’extrême proximité de l’amour; d’un dieu dont la révélation dans l’histoire s’opére non par des mots, non par un livre fait d’avance, mais par une rencontre personnelle, avec une personne ».
Ce qui est explicité un peu plus haut:
« il faut revenir sans cesse au fait que c’est Jésus-Christ qui nous empêche d’identifier l’attitude biblique et l’attitude islamique. »

Jacques ELLUL: Islam et judéo-christianisme.- PUF, 2004.

avec une préface d’Alain BESANÇON. L’objectif du texte inédit publié dans ce livre (Les 3 piliers du conformisme) est de dénoncer trois illusions de ceux qui veulent apparenter l’islam et le judéo-christianisme.
Hégélianisme: identification de la théodicée à l’histoire.
Coupure, fin de l’aristotélo-platonisme qui est encore celui de Kant.
Annexion du judaïsme, sans gêne (cf. citation).
Site de l’association Ellul: http://www.ellul.org/index.htm.

Darwinisme & anti-darwinisme

Le mois dernier, lors d’une conversation sur le darwinisme (cf. mon post du 11 juillet), Müslüm me cite le nom de Harun Yahya. Je me suis souvenu avoir vu les livres de Harun Yahya dans les vitrines des librairies islamistes en haut de la rue Jean-Pierre Timbaud, à Paris.

Du coup, ma curiosité ranimée, je suis allé voir sur le net.

Harun Yahya est le pseudonyme d’un intellectuel islamiste turc, Adnan Oktar, né en 1956. On trouve sur son site de nombreux ouvrages en ligne & parmi eux spécialement ceux qui se vouent à la réfutation du darwinisme.

Dans ces ouvrages Harun Yahya utilise souvent les écrits de Stephen Jay Gould (mort l’année dernière), le biologiste bien connu en France (édité en Points-Seuil, notamment), qui a polémiqué avec Daniel C. Dennett lors de la publication de Darwin Dangerous Idea. Voir le compte rendu de ces échanges par DCD sur le site de Sundeep Dougal.

DCD interprète son désaccord avec STJ comme un effort d’ouverture vers les croyants (Gould’s persistent misrepresentations of evolutionary biology were motivated, I believe, by a sincere desire for peace between science and religion), comme une position de conciliation, Gould lui expliquait sa position, au contraire, comme une éviction radicale de toute téléologie (ie de toute interprétation de l’évolution en terme de progrès ou de finalité). Voir à ce sujet, par exemple, l’interview de Gould par Scott Rosenberg sur le site de Salon.

Il n’en reste pas moins que les objections de Gould au néo-darwinisme classique sont largement utilisées par les créationnistes, islamistes mais d’abord chrétiens. Phillip E. Johnson, professeur de droit à Berkeley & l’un des plus actifs créationnistes américains appelle Gould « le Gorbatchev du darwinisme ».

Comme aurait dit Lacan: « où tu penses, tu n’es pas »!

(à suivre)

Le dernier voyage d’Ulysse

Son voyage, Ulysse a mis longtemps pour l’accomplir. Commencé au sortir de Troie, dans ce moment mal connu de la Grèce, entre l’époque des palais et ce recommencement qui porte pour nous le nom d’Hésiode, commencé au 13e siècle avant l’ère commune, terminé au 13e siècle après l’ère commune, et encore on raconte que le fantôme d’Ulysse, plus vieux encore qu’il n’était lorsqu’il apparût au porcher Eumée, barbe et cheveux blancs, cuisses encore fortes, se tenait debout sur la Santa Maria, près du Gênois. Et qu’il portait un fantôme de rame, blanc aussi, sur l’épaule. Le voyage a duré longtemps et c’est à juste titre que Dante écrit: Io e’compagni eravam vecchi e tardi. Ce que ni Dante, ni Homère ne racontent, et sans doute la raison en est que ni l’un ni l’autre ne connaissait l’Amérique, c’est qu’au large du Maroc ou au-delà des Açores, ou plus loin encore, dans les environs de Saint-Domingue, il trouva une île où vivait un solitaire, lequel ne devait son savoir qu’à lui-même ou à la Nature, qui portait une longue barbe et dont il ne comprit pas qu’il était en quelque sorte Adam sans Eve.

Cela est-il possible?

Hayy ibn Yaqzan était sentinelle en place del mondo senza gente. L’aurait-il entendu que sa fin aurait été autre. Mais Ulysse pouvait-il s’arrêter en une île dépourvue de femme? Tiresias, qui avait été femme et qui lui apprit que lorsque l’homme a une part de plaisir, la femme en a neuf, et ce qui lui a attiré la haine des femmes pour avoir trahi leur secret et parce que pour les Grecs éprouver du plaisir est honteux, Tiresias, et cela il l’avait raconté à Ulysse autour de la fosse carrée, au pays des Cimmériens, Tiresias lui avait prédit qu’il aurait à s’enfoncer loin de la mer, dans l’intérieur du continent, jusqu’à ce qu’il rencontre des hommes qui ignorent la mer et il le saurait parce qu’ils lui demanderaient, ignorants de ce que c’est qu’une rame, pourquoi il voyage avec une palle à vanner sur l’épaule. Et il nous laisse en souffrance de savoir ce que signifie l’ignorance des Cimmériens (car ceux-là, qui vivent sur des terres que ne réchauffent jamais les rayons du soleil, sont aussi les Cimmériens). On se doute bien, connaissant le gaillard, qu’il s’agit là de connaissance mais quelle au juste? Et donc, pour accomplir sa quête, il fallait bien des gens, ces gens qui lui demanderaient, &c.. Fuyait-il alors son destin, ce destin que lui avait assigné Tiresias? Quoiqu’il en soit, l’Amérique vers quoi il entraînait ses derniers compagnons, ceux, les rares, que le périple méditerranéen avait épargné, ceux qu’il restait encore à la menteuse persuasion d’Ulysse à perdre, cette Amérique devant eux il la voulait senza gente, monde vierge. Se souvenait-il de la sentinelle tandis qu’il se tenait auprès du Gênois sur le pont du navire espagnol? Car la sentinelle lui enseignait l’unicité de D. connue avant toute révélation, sentinelle aristotélicienne.

(report oct. 2006)